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ros national, Marko Kraliévitch, en faisant dans leurs chants subir à son caractère des modifications conformes à leurs tendances; mais ils n’ont pas complètement oublié que leurs ancêtres appartenaient à la famille finnoise. En outre le Serbe, fier, impétueux, guerrier, peu disposé au travail, apparaît souvent aux yeux du pacifique et laborieux Bulgare comme un maître qui pourrait se substituer aux Ottomans. Tous ceux qui ont parcouru la Bulgarie au temps des invasions russes ont constaté avec quelle circonspection consommée les Bulgares assistaient à la lutte entre les deux empires. En présence des Ottomans, ils répétaient qu’aucun de leurs hommes n’avait suivi les Russes; aux Russes, ils disaient qu’ils étaient orthodoxes comme eux, et qu’ils n’avaient rien plus à cœur que la prospérité de l’orthodoxie. Nous n’avons pas ici affaire à ces ardens Albanais toujours pressés de prendre un parti et de paraître sur les champs de bataille. L’Albanais agit en soldat, le Bulgare en paysan. Aussi, tandis que la population albanaise diminue constamment, la population bulgare, débordant dans tous les sens, étend ses féconds rameaux sur les deux versans du Balkan, devenu la citadelle des Finno-Slaves, comme l’Olympe est la forteresse des Hellènes, et les Karpathes le boulevard des Roumains.

Toutefois les aspirations des Bulgares sont bien imparfaitement favorisées par leurs souvenirs nationaux. On ne trouve pas chez eux une de ces grandes personnalités qui deviennent en quelque sorte le centre de l’histoire d’un peuple; point de ces Etienne Douchân, de ces Scander-Beg ni de ces Michel le Brave dont les Serbes, les Albanais et les Roumains ont gardé un souvenir si vivant. L’époque glorieuse de leurs annales coïncide avec la splendeur de la dynastie asanienne. Or Calojan n’est point un homme de leur sang. Ce peuple, n’ayant point comme les autres nations de la péninsule des souvenirs qui flattent son patriotisme, est moins disposé à se tourner vers le passé. Son regard est plutôt porté vers l’avenir, et il agit en cela comme ses frères slaves, qui aiment à penser qu’un grand rôle leur est réservé.


II. — LES DIEUX ANCIENS ET LES DIEUX NOUVEAUX.

Le mot Bulgarie n’est point, comme celui de Valachie, une expression à laquelle tous attachent la même signification. Ce mot, qui n’a pas de sens pour les Turcs, dont il ne représente aucune division administrative, exprime pour les Occidentaux un territoire qui a pour limites au nord le Danube et la Save, au sud le Balkan. Franchissant les limites du pays auquel ils ont donné leur nom, les Bulgares ont débordé en Thrace et en Macédoine; mais de même qu’aucun homme politique sensé ne songe en Espagne ou en France