Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des hommes de la langue d’oc à la suprématie des provinces qui parlaient la langue d’oil, que la vieille rancune des Ibères contre Paris, germanisé par les Franks, contribuèrent à la résistance des albigeois plus que le zèle religieux. Il en fut de même en Bulgarie. Aucun peuple n’est moins que les Bulgares préparé aux subtilités scolastiques; mais le mysticisme vague des Slaves s’est toujours mal accommodé des formes précises que les Byzantins ont données à la théologie chrétienne. Vivant encore, comme tous leurs frères slaves, en communion intime avec le génie de l’Asie, la simple doctrine des deux principes pénétrait mieux dans leur intelligence naïve que les théories fort compliquées à l’aide desquelles l’église grecque expliquait l’origine du mal physique et du mal moral.

Les empereurs comprenaient-ils la liaison qui existait entre l’opposition religieuse et l’opposition politique aussi bien que Richelieu voyait le rapport qui existait entre le jansénisme et la résistance à l’absolutisme royal? Étaient-ils simplement poussés par la passion malheureuse et bizarre que les autocrates byzantins avaient pour la théologie? Quoi qu’il en soit, Alexis Ier Comnène s’imagina qu’il devait travailler personnellement à la conversion des manichéens. Malheureusement pour le controversiste impérial, les sectaires avaient à leur tête un homme dont l’énergie égalait l’entêtement. Basile, qui, dit-on, donna aux manichéens de cette époque le nom de bogomiles, était un vieillard de haute taille, dont la maigreur annonçait la vie austère. Il marchait les yeux baissés et la tête penchée, enveloppé modestement dans un manteau et le front caché par une cuculle. Le système qu’il avait adopté était le fruit de quinze ans de méditations, il l’avait depuis longtemps propagé avec ardeur, aidé de ses douze disciples, et ses succès avaient été si grands que, pour s’en défaire, l’empereur crut devoir recourir à la trahison. Il le fit appeler au palais et feignit de vouloir devenir bogomile. Le piège était d’autant plus adroit que, lorsqu’un souverain byzantin avait adopté une doctrine théologique, il n’épargnait rien pour l’imposer à ses sujets. Il est probable que les orthodoxes auront présenté le système que Basile exposa devant Alexis d’une manière assez peu exacte; toutefois il n’est pas difficile d’y reconnaître les opinions fondamentales du manichéisme. Le monde, trop imparfait pour être digne d’un Dieu intelligent et bon, est considéré comme l’œuvre des esprits pervers. La matière, étant essentiellement mauvaise, ne peut nullement contribuer à la régénération de l’âme. De là la condamnation du baptême, qui emploie l’eau, de l’eucharistie, qui se sert du pain et du vin. Le mariage n’est plus un sacrement, c’est une invention satanique, puisqu’il a pour but la production de nouveaux êtres matériels. Quant aux véritables moyens de régénération, les uns étaient