Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins de bienveillance. Loin de l’adopter avec empressement comme les Arméniens, les disciples de Zoroastre restèrent fidèles à un système religieux qui avait élevé la monarchie des Achéménides à un haut degré de puissance. Le dualisme avait de telles racines dans l’imagination de la Perse que les sujets du grand-roi qui se décidèrent à embrasser l’Evangile, encouragés par les emprunts que les écrivains les plus orthodoxes firent à la philosophie des mages, ne tardèrent point à essayer de concilier les conceptions chrétiennes avec celles du Zend-Avesta. Le plus célèbre de ces docteurs est le Perse Manès, qui obtint la protection des deux Arsacides Sapour Ier et Hormouz Ier, et dont les douze disciples propagèrent les révélations en Asie, en Égypte et en Europe. Il est vrai que La faveur de la cour persane se changea en persécution sous Behram Ier, par les ordres duquel Manès fut écorché vif à la fin du IVe siècle (374) ; mais son école, fière du martyre de son chef, ne périt pas avec lui, et elle eut des partisans tels que saint Augustin, qui après sa conversion se servit des lettres de saint Paul pour faire dominer parmi les Latins un fatalisme conforme aux idées de ses anciens maîtres. L’intolérance, dont l’évêque d’Hippone fut parmi les chrétiens le premier défenseur, était trop conforme aux vues du gouvernement impérial pour que les césars eussent la moindre répugnance à l’adopter. Aussi les empereurs tournèrent-ils contre les manichéens les armes qu’ils avaient émoussées sur les chrétiens de la primitive église. Deux Latins, l’Espagnol Théodose et le Roumain Justinien, nous ont laissé dans leur législation le modèle dont se servit plus tard toute la société latine, l’inquisition dominicaine comme l’inquisition d’Espagne. Banni des écoles publiques, le manichéisme se maintint dans les sociétés secrètes, et, malgré les décrets de l’imperator latin et de l’autocrate de Byzance, se propagea en Orient et en Occident.

Les hérésies sont ordinairement la manifestation d’une incompatibilité politique entre des nations réunies par la force. Les Arméniens, ne pouvant s’habituer à la domination byzantine, favorisèrent les eutychiens, condamnés par les césars; de même les Bulgares, vaincus après une lutte acharnée par Basile, furent heureux de protester contre l’autocratie en attendant que l’occasion se présentât de recommencer la lutte sur les champs de bataille. Les mêmes causes expliquent l’accueil que reçurent dans la France méridionale les doctrines des albigeois, et les combats acharnés que la France du nord livra au XIIIe siècle dans les provinces du midi aux partisans du manichéisme bulgare. Si les hérétiques de l’ancienne Aquitaine montrèrent tant d’attachement à une théologie qui excitait la colère des rois de France, tout porte à croire que l’antipathie ordinaire du sud et du nord, que la résistance