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que le développement intellectuel de la Bulgarie fut très lent. Tandis que les Ottomans eux-mêmes créaient cette littérature dénuée d’originalité, mais féconde, dont le baron de Hammer-Purgstall a écrit l’histoire, les Bulgares ne produisaient guère que des chants populaires qui, malgré le vif intérêt qu’ils offrent à l’historien, ne peuvent assurément être mis sur la même ligne que les poésies nationales serbes. Leur langue elle-même, loin de se perfectionner, s’est corrompue de plus en plus. La passion des Bulgares pour la vie des champs, quoique fort utile à toute la péninsule orientale, n’était pas de nature à enrichir leur littérature.

A l’époque de leur entrée en Mœsie, rien ne faisait encore prévoir la transformation de ces hordes sauvages en paisibles paysans. Les historiens byzantins nous fournissent malheureusement peu de renseignemens sur leur organisation sociale. Leurs rois, qui prirent plus tard les brodequins de pourpre des autocrates, la tiare de fin lin et la couronne d’or, avaient alors des habitudes plus primitives. Le terrible Krum, pour célébrer ses victoires, faisait à ses dieux des sacrifices d’hommes et d’animaux, lavait ses pieds dans la mer, dont il versait l’eau sur sa tête, puis il aspergeait ses compagnons au milieu d’acclamations bruyantes. Gibbon croit que son palais devait être une maison de bois. Ses soldats, « saies et grossiers » comme ceux d’Attila, avaient cependant une sorte d’aristocratie composée de boyards (Théophane les nomme boïlades); ils avaient à leur tête six grands boyards qui prenaient rang après la famille du souverain. C’était une noblesse turbulente, et de fréquentes révolutions bouleversèrent les nouveaux établissemens bulgares des bords du Danube. Au milieu de ces troubles, une partie des habitans slaves de la contrée se séparèrent de ces terribles alliés, passèrent la Mer-Noire, et obtinrent de l’empereur Constantin IV Copronyme des terres en Bithynie. Cette émigration était de nature à fortifier l’influence de l’élément roumain, qui, resté jusque-là dans l’ombre, devait exercer plus tard une action prépondérante. Le règne de Krum (le Crumus des Occidentaux) est l’apogée de la période païenne en Bulgarie; aussi son nom est-il le seul de cette période qui soit connu en Occident. Ce soldat législateur, qui commença sa carrière en domptant les Avares, comprit combien le goût des Slaves pour les boissons spiritueuses pouvait être funeste à son peuple, car il ordonna de détruire toutes les vignes « et d’arracher les racines. » L’empereur de Byzance, Nicéphore Ier le Logothète, qui eut l’imprudence de provoquer le souverain des Bulgares, expia cruellement sa témérité. Il "périt dans sa lutte contre Krum, qui fit orner son crâne d’un cercle d’or et s’en servit comme d’une coupe dans les festins. Il répétait, en montrant ce hideux trophée, qu’il avait fait bonne justice de « l’ennemi de la paix, d’un prince