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surent-elles leur empire sur les âmes et les sociétés? Toutes ces questions peuvent et doivent être résolues a postériori par l’expérience historique. Quant aux problèmes qui touchent au principe et à la racine même des religions, à leur durée, à leur avenir, la science positive s’en défie ou les réserve, comme s’ils n’étaient pas tout à fait de sa compétence; elle les laisse à cette spéculation plus ambitieuse de l’esprit qui a le nom de philosophie. La philosophie des religions n’est pas chose nouvelle dans les études religieuses du siècle, c’est même par là qu’elles ont commencé. Toutes les grandes œuvres en ce genre, depuis Kant et Lessing jusqu’à Hegel en Allemagne, depuis Benjamin Constant jusqu’à Victor Cousin en France, ont eu plutôt le caractère d’une spéculation philosophique que d’une œuvre critique et scientifique. Il semble même que ce soit la réaction contre ces idées plus hardies que solides qui ait ramené les études religieuses dans les voies de l’érudition et de la pure critique. L’esprit du siècle, plus historique au fond que philosophique, n’a suivi cette philosophie des religions ni dans la métaphysique spino4ste de Schleiermacher, ni dans la logique abstraite de Hegel, ni surtout dans la théologie toute psychologique de Feuerbach, en sorte qu’aujourd’hui la pensée du siècle reste indécise entre les hardiesses de la philosophie et les réserves de la science.

Quoi qu’il en soit, la critique religieuse n’en est pas moins faite pour embarrasser singulièrement la théologie orthodoxe, surtout la théologie catholique, avec ses méthodes, ses démonstrations et ses conclusions positives. On peut toujours, avec un certain succès devant les foules, lancer les foudres de l’anathème contre les enfans perdus de la libre pensée, contre les disciples de Voltaire, de d’Holbach et de Diderot, on peut même encore être éloquent contre les disciples plus ou moins authentiques de Spinoza et de Hegel; mais comment répondre et que dire à d’honnêtes et un peu lourds savans qui n’ont pas la moindre humeur belliqueuse et qui vivent dans la poussière des textes? Est-ce à une pareille race d’hommes qu’il est possible d’adresser des sommations au nom de la morale, de la famille et de la propriété? Rien de mieux, s’il s’agit de nos beaux esprits, de nos brillans écrivains, de nos ardens pamphlétaires, toujours si aimés et si courus dans notre charmant pays de France; mais comment s’y prendra la théologie catholique pour croiser le fer avec de modestes savans et pour percer une armure faite de textes et de formules? Nous sommes curieux et quelque peu impatient de la voir enfin à l’œuvre.

Nous ne pouvons nous défendre, en terminant, d’un rapprochement qui serait de nature à nous inquiéter sur les destinées de la théologie. Telle est sa situation aujourd’hui vis-à-vis de la critique qu’elle ne semble plus avoir que l’un de ces deux partis à prendre,