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tion par les textes ou les faits en finit toujours avec les théologiens entêtés comme avec les physiciens systématiques.

On pourrait épuiser la liste des théologiens et des écrivains catholiques français sans rencontrer une seule exception marquante à cette direction de la polémique théologique. Ils défendent presque tous leur foi au nom des principes philosophiques, sociaux, politiques, abandonnant à leurs adversaires la science des textes et la discussion du dogme. N’y aurait-il pas là, sous les apparences de la sécurité, une défiance, sinon de leur force et de leur cause, du moins de leur temps, laquelle fait contraste avec la confiance superbe des docteurs du XVIIe siècle? C’est qu’en effet les temps ne sont plus les mêmes, et que tout a changé depuis deux siècles autour de l’école ou de la chaire de nos théologiens. Notre société, telle que l’ont faite la philosophie, la révolution et la science, a trop d’expérience et de maturité pour s’attacher fortement au côté dogmatique des questions religieuses ou métaphysiques. Quand elle y cherche autre chose qu’une satisfaction pour sa curiosité, c’est à leur côté pratique et social qu’elle se prend. Alors elle y met une ardeur, une passion, un accent, qui donnent à son sentiment toutes les apparences d’une véritable foi. Au XVIIe au XVIIIe siècle et jusqu’au commencement du XIXe le vrai était l’objectif des spéculations de ce genre ; aujourd’hui c’est l’utile et le bien pour les esprits qui ne sont pas simplement curieux de faits ou d’idées. Les théologiens le savent par une double expérience ; ils le voient en regardant autour d’eux, ils le sentent en regardant au fond d’eux-mêmes, car, tout en maudissant l’esprit du siècle, ils en sont atteints, et ce qui les trahit, c’est leur répugnance générale, sinon universelle, à entrer dans ces questions de dogme et de morale où ils risquent de se heurter soit à la science positive, soit à la conscience, soit au bon sens du siècle. C’est qu’on a beau se retrancher dans la citadelle d’un dogme, l’esprit reste ouvert aux influences du temps où l’on vit.

Il faut l’avouer d’ailleurs, la critique de notre siècle a rendu l’œuvre de la défense difficile aux apologistes contemporains. Si l’on prend les faits et les dogmes à la lettre, comme on faisait jadis, comment réfuter la science et satisfaire la conscience du siècle? Si l’on s’attache à l’esprit seulement selon la méthode alexandrine et allemande, on ouvre la porte aux plus hardies transformations de l’histoire et du dogme. Et puis, quelles que soient la ferveur de la foi et l’ardeur de la passion, il est bien difficile de ne pas être quelque peu ébranlé soi-même dans sa confiance à la doctrine par les coups de cette critique contre laquelle on proteste. Aujourd’hui la théologie ne peut guère ne pas avoir conscience de ses côtés faibles et vulnérables. Ce qui ne la frappait point avant