Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ignorer l’origine et la valeur du mot. Pour être un vrai sophiste, il ne suffit pas de faire de ces raisonnemens vicieux qu’on appelle des sophismes, car il n’est guère de philosophes qui à ce titre ne méritent une pareille qualification. Un sophiste n’est pas même un sceptique, comme Pyrrhon ou Ænésidème, qui entreprend de soutenir en toutes choses le pour et le contre, afin de montrer l’impuissance de l’esprit humain à se fixer à quoi que ce soit. C’est le charlatan, si bien défini par Socrate et Platon, qui trafique, non d’une science qu’il ne prétend pas posséder, mais d’un art où il excelle, et qui a pour but le succès, nullement la vérité.

C’est donc là une véritable calomnie, que l’historien de l’école d’Alexandrie pourrait laisser tomber pour lui-même, puisqu’il n’est point un disciple de la dialectique de Hegel, quelle que soit son admiration pour ce haut et vaste esprit. S’il la relève, c’est pour l’honneur de la philosophie moderne, qui n’a point encore eu d’écoles analogues à celles des sophistes contemporains de Socrate. La prétention de résoudre dans l’unité, dans l’identité absolue toutes les contradictions, toutes les antinomies que Kant avait élevées contre la métaphysique, peut être jugée diversement; mais assimiler cette méthode à celle des adversaires de Socrate, c’est n’en pas comprendre le premier mot. Pour qui n’est pas tout à fait étranger à cette hardie et obscure spéculation de la pensée allemande, la logique de Hegel n’a rien de commun avec la logique ordinaire, qui reconnaît pour loi le principe de contradiction. Ainsi qu’il ne cesse de le dire lui-même, c’est moins une logique, à proprement parler, qu’une véritable métaphysique où il s’agit, non des idées, mais des choses elles-mêmes. Tous ces termes contraires ou même contradictoires qui viennent se confondre dans une identité supérieure, ce sont des réalités véritables, ou plutôt des momens divers d’une seule et même idée qui les produit, les détruit, les concilie et les confond successivement dans le mouvement incessant d’une dialectique concrète et vivante. On aurait fait sourire Hegel et avec lui toute l’Allemagne philosophique, si on l’eût accusé de professer le oui et le non en même temps sur toute question de physique, de morale, de logique ou de métaphysique. Cette Allemagne, si fière et si dédaigneuse à l’endroit de nos philosophes, n’avait déjà pas en si grande estime la pensée française pour que celle-ci lui donnât le spectacle d’une aussi naïve confusion. Il est possible que, dans son Histoire de la philosophie, Hegel ait fait la part trop belle aux sophistes, et nous serions tenté de croire qu’il eût mieux fait, ainsi que M. Grote, leur tout récent apologiste, de s’en fier là-dessus à Socrate, à Xénophon, à Platon, à Aristote, qui devaient les bien connaître. Quoi qu’il en soit, cette idée de rapprocher la dialectique d’un Schelling ou d’un Hegel de la dialectique toute ver-