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question de savoir si les attributs métaphysiques de Dieu peuvent logiquement se concilier avec ses attributs psychologiques, la question de savoir si et comment la morale peut absolument se passer de la théologie et de la métaphysique, c’est ce qu’il n’est pas permis d’espérer, même avec les facultés vraiment philosophiques déployées par le prédicateur dans ces circonstances. Tous les esprits versés dans ces matières savent que pour faire la lumière il faut une autre méthode d’analyse et une autre forme de démonstration. C’est par le livre, et encore combien y arrivent par le livre ! qu’on peut, en allant pas à pas, par des définitions et des distinctions nécessaires, amener le lecteur à voir clair dans ces ténèbres où se sont égarés tant de forts et subtils esprits, c’est encore par un enseignement didactique, fruit d’une méditation lente et laborieuse, exprimé dans un langage d’une précision et d’une exactitude scientifiques, dont nos professeurs de métaphysique donnent eux-mêmes rarement l’exemple. Si les auditeurs catholiques ou éclectiques du père Hyacinthe sont sortis convaincus pour la plupart de la rigueur de ses critiques, lui-même entend trop la philosophie pour partager entièrement cette illusion.

L’évêque d’Orléans est d’un âge théologique bien moins favorable aux nouveautés ; il a la foi, le courage, la passion d’un docteur de l’école de de Maistre. Il ne craint ni de défendre le pouvoir temporel du saint-père ni de soutenir ses encycliques ; il poursuit de ses philippiques et accable de ses qualifications les libres penseurs. Enfin il est toujours sur la brèche, ardent, infatigable, pour le service de la sainte cause ; mais il attaque beaucoup plus qu’il ne défend. Il porte la guerre dans le camp ennemi, lançant à ses adversaires les accusations d’athéisme, de matérialisme, de panthéisme, de socialisme, et quand il défend sa foi, c’est beaucoup moins en invoquant les textes que les principes de l’ordre social. Il s’en prend à des savans comme M. Littré, à des écrivains comme M. Taine, qui ont peu ou point abordé les problèmes de critique religieuse ; il touche à peine à M. Renan, si ce n’est pour railler son dilettantisme religieux ; il passe sans les regarder à côté de Strauss et de l’école de Tubingue. Et pourtant quel merveilleux talent de polémique ! quelle rhétorique, quelle dialectique, quel feu ! Qui pourrait faire un plus beau livre que l’évêque d’Orléans pour la défense du dogme, s’il voulait puiser ses argumens dans les textes ? Comme il les ferait parler ! quelle force, quel intérêt, quel charme, ils prendraient sous sa plume ! L’évêque de Poitiers s’est voué à la même œuvre avec la même ardeur et la même méthode, sinon tout à fait la même force d’éloquence. Lui aussi a délaissé l’exégèse pour l’apologie et surtout pour la polémique.