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spectacle, et particulier à l’histoire de ce temps-ci : c’est qu’à travers le retentissement des paroles et le bruyant cliquetis des armes un observateur attentif peut remarquer que les coups ne portent pas le plus généralement. On se fait une rude guerre où les gros mots et les grosses calomnies ne sont point épargnés, au moins d’un certain côté; mais en réalité on ne se répond guère, et on se réfute moins encore. L’école de la tradition et l’école de la critique ne parlent pas le même langage. Pendant que celle-ci fait son œuvre sans bruit, sans autre but que la vérité, sans autre méthode que la démonstration, celle-là défend une cause à laquelle elle croit attaché le salut des âmes et des sociétés humaines. Au savant qui demande qu’on lui résolve la contradiction d’un texte ou qu’on lui en éclaircisse le sens, on répond que tout se tient dans le monument sur lequel repose la foi des peuples, et qu’une pierre qu’on en détache peut faire crouler l’édifice entier. Au philosophe qui ne peut accorder un dogme avec sa raison ou sa conscience, on réplique en montrant les grandes œuvres morales et sociales de la religion. La critique entend tout cela et passe outre, exclusivement occupée à combler ses lacunes, à rectifier ses erreurs. Elle n’a pas, comme la tradition, un mot d’ordre auquel elle se rallie, et même, à la grande joie de ses adversaires, il arrive à ses organes de se diviser et de se contredire, tandis que, dans le camp de la tradition, on serre toujours les rangs et on marche à l’ennemi sous l’empire de la consigne.

On en jugera sur les faits, en France du moins. Les œuvres d’éloquence des écrivains de l’école théologique sont nombreuses et de nature à fournir une belle page à l’histoire de notre littérature. Les œuvres de philosophie ne manquent pas; on voit que la cause du spiritualisme est plus commode à défendre que celle de la vérité dogmatique ou celle de la vérité historique de la religion. Il faut même rendre justice à la sagacité de nos théologiens : ils sont habiles à relever les erreurs, les hypothèses, les contradictions de la critique; mais il est bien rare qu’ils abordent l’ennemi autre part qu’au défaut de la cuirasse. Les grandes et fortes œuvres de la critique contemporaine n’ont point encore provoqué de réfutation sérieuse. Joseph Salvador a écrit, il y a plus de trente ans, plusieurs livres savans, profonds, où l’histoire du peuple juif, l’histoire de Jésus, sont faites au point de vue hébraïque, mais sur des textes nombreux et décisifs. Nous ne voyons pas que la théologie catholique se soit empressée d’engager la lutte avec cette science et cette critique. Strauss a fait une première Vie de Jésus où il s’applique à mettre en contradiction les textes sacrés, et à en détruire ainsi l’autorité. Il a fait cela, non pas seulement sur quelques points accessoires de la vie et de la doctrine du Christ, mais sur tous les points