Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les écoles de la tradition comme les écoles de la libre pensée. Jamais la théologie, même la théologie catholique, n’a mieux étudié, mieux connu les textes, mieux appris les langues qui ont servi d’organe à la pensée religieuse.

Néanmoins la répugnance à se servir des mêmes armes que les adversaires est visible. On verra pourquoi plus tard; pour le moment, il importe de constater cette disposition à peu près générale de la théologie catholique française. Assurément ce n’est point la lutte qu’elle a déclinée, et si quelque chose lui a fait défaut dans cette lutte, ce n’est point le talent. Elle a partout soutenu, souvent provoqué la guerre avec les écoles allemandes ou françaises de la critique, dans la chaire, dans l’école, dans la littérature, dans le monde des académies, et jusqu’au sein des assemblées politiques. Elle a même formé une grande ligue dans les derniers temps avec certaines écoles philosophiques, sous le noble drapeau du spiritualisme. Philosophes, théologiens, politiques, moralistes, artistes, ont entrepris ensemble une véritable croisade pour arrêter les conquêtes de l’ennemi commun. Si l’éloquence, le talent, la passion, devaient décider de la victoire dans cette lutte engagée entre la tradition et la critique, il serait fort à craindre que ce ne fût pas celle-ci qui dût triompher définitivement. Tandis que la tradition parle à la foule dans les chaires de l’église, dans les chaires de l’état, dans les tribunes des assemblées, dans les conférences publiques, la critique n’a guère d’autre organe que le livre, et encore quels livres! La tradition a ses orateurs et ses écrivains. Quand des prédicateurs comme le père Félix, le père Hyacinthe, M. Dupanloup, font de ces difficiles et délicates questions le texte de leur éloquence passionnée, jetant l’anathème aux libres penseurs, qu’ils accablent des plus terribles épithètes, comment leur auditoire, peu familier avec les problèmes et les méthodes de la critique, ne bondirait-il pas tout à la fois d’enthousiasme et d’indignation? Quand des écrivains, des historiens, des hommes d’état comme M. Guizot, avec ce ton plus calme, plus modéré, mais tout à fait magistral qui lui sied, jugent et condamnent les conclusions de la critique au nom des sentimens de l’âme humaine et des principes de l’ordre social, comment le monde religieux et politique, où règne encore l’autorité de cette grande parole, n’applaudirait-il point à de pareils arrêts? Devant ce public de croyans sincères, de conservateurs effarés, de mondains habiles, quelle figure peut faire une science toute d’érudition minutieuse et de subtile analyse, sans grand prestige de nom, sans grand attrait de style, sauf de rares exceptions, et dont la puissance démonstrative ne peut avoir prise que sur des intelligences préparées?

Cette nouvelle lutte entre la foi et la science offre un curieux