Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvent le mieux exprimées dans ce qu’elles ont de plus sincère et de plus noble, mais en même temps de plus vague et de plus nuageux, les diverses tendances qui combattent et se mêlent dans l’opinion philosophique de notre temps. Il nous paraît important pour le spiritualisme de ne pas s’enfermer comme dans une citadelle avec un froid mépris et une inactive indignation, loin du courant et du flot qui pousse de toutes parts au dehors les jeunes générations. Il nous faut savoir ce qu’elles pensent et ce qu’elles rêvent, quels sont les nouveaux besoins que réclame leur esprit transformé. Tout n’est pas mauvais dans ce bouillonnement qui se fait en tout sens autour de nous, et nous ne devons pas avoir appris en vain l’histoire de la philosophie, qui nous enseigne à tout comprendre, sinon à tout approuver. Entre tous les jeunes esprits engagés dans ces voies nouvelles et glissantes, aucun ne nous paraît plus digne d’attirer les sympathies et l’attention que l’écrivain dont nous venons de résumer les écrits.


P. JANET.


MEYRINGEN. — UN MOIS DANS UN MOULIN[1].


Tu souris en te rappelant mon impatience fiévreuse de quitter Thoune. N’avais-je pas raison? J’entrevoyais aux confins de la vallée du Hasli une solitude agreste, pleine de ce charme sauvage que nous préférons à tout. En face de ce beau lac de Thoune, si admirablement encadré, splendide de lumière, dans ces jardins somptueux, ces chartreuses élégantes, je regrettais nos bruns chalets, nos grands bois, les torrens. Une nature enjolivée, arbres ciselés, fleurs exotiques, villas, est-ce là ce que nous cherchions dans les Alpes? Nous étions déconcertés dans cette magnifique contrée, ouverte de toutes parts aux envahissemens des touristes. Un vallon caché, animé par la voix des cascades, nous abritera bien mieux. Aux camélias, aux lauriers-roses qui décorent les péristyles des hôtels, nous préférons l’anémone, l’humble touffe de serpolet. Le cor des Alpes est une mélodie plus agréable à nos oreilles que le God save îhe queen des orgues de Barbarie qu’on entend dans ces promenades.

Quand il fut bien décidé qu’on ne resterait pas à Thoune, une fois embarqués sur le bateau, on convint sans peine des beautés du lac. Il s’avance entre deux petits caps ou promontoires plantés d’arbres; au fond s’étagent les montagnes bleues couronnées de glaciers, l’étincelante Blumlisalp (Fleur des Alpes), derrière nous le Stokhorn au cône tronqué. La journée était superbe. Quelques nuages argentés flottaient sur

  1. Mme Edgar Quinet va publier sous ce titre, Mémoires d’exil, un volume d’impressions et de souvenirs que nous n’avons pas besoin de recommander à nos lecteurs. Nous en détachons les pages suivantes; elles donneront la note d’un livre sincère et intime qui, nous sommes en mesure de l’affirmer, attirera l’attention sympathique du public.