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formations artificielles que l’industrie humaine fait subir aux espèces domestiques, et qui montrent la malléabilité de la forme animale, — vous comprendrez que de toutes ces données ait pu sortir la célèbre hypothèse à laquelle un grand naturaliste anglais a attaché son nom. Cette hypothèse est celle de la sélection naturelle, d’après laquelle la nature aurait fait elle-même, au moyen de quelques types primitifs ou peut-être d’un seul, toutes les espèces que nous connaissons, comme nous faisons nous-mêmes avec ces espèces des races et des variétés, hypothèse séduisante et brillante, mais aventureuse et tout à fait conjecturale, qui paraissait jusqu’ici appartenir au domaine de l’imagination beaucoup plutôt qu’à celui de la science. M. Auguste Laugel est un ardent et éloquent défenseur de la doctrine de Darwin. Il la rend spécieuse et plausible; il essaie de répondre aux difficultés qu’elle provoque. Il nous montre les doctrines opposées fortement ébranlées, l’idée de l’espèce flottant de plus en plus dans des contours incertains. Tel est du moins le point de vue auquel il se place; ce n’est pas celui de la plupart des naturalistes. Nous avons pour notre part exposé nos doutes sur cette théorie, et nous ne trouvons pas qu’on les ait levés jusqu’ici; mais ce n’est pas le lieu d’engager une si grave controverse, et nous la renvoyons aux savans compétens.

Nous nous sommes longuement étendu sur les deux premiers volumes de M. Auguste Laugel, parce que c’est surtout dans ces deux volumes qu’il nous paraît lui-même; peut-être est-il moins sur son terrain dans les Problèmes de l’Ame, où les connaissances mécaniques, physiques, physiologiques, deviennent insuffisantes, et où des études précises de psychologie et de métaphysique sont rigoureusement nécessaires. Cependant on y trouvera encore, surtout sur les rapports du physique et du moral, de la pensée et du cerveau, beaucoup de faits intéressans. Nous pensons que l’auteur s’y montre en général un peu trop neutre entre le matérialisme et le spiritualisme, et qu’il est trop disposé à les renvoyer l’un et l’autre dos à dos par une sorte de fin de non-recevoir. En se plaçant même à son point de vue, qui n’est pas le nôtre, il nous semble qu’au lieu de mettre sur le même pied ces deux doctrines comme deux hypothèses également injustifiables il aurait pu donner à l’une d’elles au moins une supériorité relative. Lors même qu’on n’accorderait pas que le spiritualisme est la vérité même, on pourrait encore soutenir qu’il est plus vrai que son opposé. Pour notre compte, nous n’oserions pas dire que telle doctrine philosophique, même la nôtre, soit la vérité absolue; mais nous devons nous borner à dire qu’elle est ce qui nous paraît s’en rapprocher le plus. Reconnaissons-le toutefois, si dans quelques pages le livre de M. Laugel nous paraît un peu trop impartial entre les diverses doctrines, il en est d’autres où il s’exprime avec autant de fermeté que pourrait le faire un spiritualiste déclaré.

Nous avons cru intéressant de nous attacher à l’un de ces livres où se