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La nature ne l’intéresse que comme objet et aliment de la pensée. Né sur les bords du Rhin, il a reçu de l’Allemagne le souffle des choses idéales, non toutefois sans un certain mélange de vapeurs et de brumes traversées çà et là par les rayons d’une imagination poétique. Une philosophie rigoureuse et précise ne trouve peut-être pas toujours son compte à ce mélange de science exacte et de poésie mystérieuse. Il ne faut point trop presser ce brillant esprit ni sur la méthode ni sur les doctrines. Un spiritualisme sévère, tout comme une logique exacte, peut trouver à reprendre dans ses écrits; mais la candeur de la pensée désarme les scrupules, des aperçus heureux captivent la curiosité, et le sentiment profond de la grandeur de la science et de l’infini dans les choses donne quelquefois à son style un accent presque religieux.

L’analyse détaillée des trois derniers volumes de M. Laugel nous est interdite par le nombre même, la diversité et la complication des questions qui y sont traitées. Nous nous bornerons à en résumer l’esprit, ce qui va nous amener à parler des diverses tendances philosophiques qui se partagent les sciences à l’heure qu’il est. On peut dire que la science de la nature a toujours été divisée, comme elle l’est encore aujourd’hui, en deux grandes écoles contraires, l’une qui l’entraîne vers l’unité, l’autre vers la diversité, l’une qui tend sans cesse à la réduction des forces, l’autre qui insiste surtout sur la pluralité des agens. L’un et le plusieurs, ces deux termes auxquels les pythagoriciens et les platoniciens ramenaient les principes des choses, semblent être les deux pôles contraires entre lesquels l’esprit humain oscille sans cesse dans la science comme dans la philosophie, dans la religion comme dans la politique. Ces deux tendances coexistent plus ou moins à chaque époque; cependant c’est tantôt l’une, tantôt l’autre qui est prépondérante. Dans la physique cartésienne, le principe de l’unité dominait d’une manière absolue. Descartes, préoccupé surtout de chasser de la science les qualités occultes du moyen âge, avait ramené tous les problèmes de la physique et même de la physiologie aux problèmes de la mécanique, et il avait dit : « Donnez-moi de la matière et du mouvement, et je ferai le monde. » De là la théorie des tourbillons et la théorie de l’automatisme, ces deux hypothèses si ingénieuses et si fausses qui ont ruiné la physique cartésienne, et qui sont encore citées comme des exemples de romans scientifiques, quoique l’esprit général de la physique cartésienne soit évidemment celui qui tend à reprendre faveur aujourd’hui.

Le XVIIe siècle s’était déclaré l’adversaire des qualités occultes, le XVIIIe les réhabilita. Il n’y a qu’un seul moyen de chasser les qualités occultes de la nature, c’est de ramener toutes les classes de phénomènes les unes aux autres, et tous ces phénomènes sans exception à un seul, le mouvement. Il ne reste plus alors qu’à chercher la cause du mouvement, qui pour Descartes n’était autre chose que la cause première. Cette théorie si séduisante était à chaque pas contredite par l’ex-