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C’est lui peut-être qui a le plus contribué à mettre le public au courant de ces grandes questions qui nous touchent de si près, la corrélation des forces physiques, l’origine de la vie, la transformation des espèces, l’antiquité de l’homme, les analogies et les différences anatomiques de l’homme et de l’animal. Toutes ces questions, dont la philosophie s’est désintéressée pendant si longtemps parce qu’elle avait autre chose à faire, elle ne peut plus les écarter aujourd’hui. Sans prétendre que les doctrines spiritualistes soient suspendues au sort de tel ou tel problème scientifique, et tout en reconnaissant que ce sera toujours dans la psychologie et dans la morale qu’elles trouveront le plus ferme appui, on ne doit pas oublier d’un autre côté que la métaphysique a toujours eu pour ambition d’être la science des sciences, d’embrasser dans son unité transcendante l’homme et la nature. On ne doit pas oublier que Bacon fixait à la philosophie un triple objet, l’homme, le monde et Dieu, que Descartes et Leibniz n’ont jamais séparé la physique de la philosophie, que la philosophie allemande, aussi bien que la grecque, la première et la dernière des grandes philosophies d’Occident, ont eu leur cosmologie à côté de leur psychologie et de leur théologie. La philosophie renoncerait donc à sa vraie mission, et se réduirait à n’être qu’une science particulière, au lieu d’être, comme le voulait Aristote, la science des premiers principes et des premières causes, si elle écartait de ses recherches ou du moins de ses inductions la nature tout entière. Si l’on considère surtout les immenses progrès qu’ont faits les sciences physiques et naturelles depuis trois cents ans, il est difficile d’admettre que, de toutes ces révélations si étonnantes, il ne résulte rien pour la philosophie elle-même, — que la découverte du système du monde, des lois du mouvement, d’un agent aussi merveilleux que l’électricité, des combinaisons chimiques, des lois de l’organisation et de la vie, que de telles découvertes, dis-je, n’aient rien à apporter à la science de l’homme et à la science de Dieu. Il est donc dans la nature des choses que la philosophie se rafraîchisse et se renouvelle au contact des sciences physiques et naturelles. Si un matérialisme passionné se hâte de tirer parti en sa faveur de ces données nouvelles trop négligées, il est urgent qu’une métaphysique plus savante et plus éclairée vienne à son tour interpréter les résultats de la science avec une libre impartialité.

Ces considérations doivent nous rendre reconnaissans envers les écrivains qui, venus de la science, se sont approchés de la philosophie, et qui nous donnent par là l’exemple de nous avancer réciproquement de la philosophie vers la science. C’est ce mérite qui nous a toujours frappé dans les écrits de M. Auguste Laugel. Ancien élève de l’École polytechnique et de l’École des mines, il a reçu, comme on voit, la plus forte éducation scientifique que l’on puisse acquérir en France de nos jours; mais il n’appartient pas à cette école qui ne voit partout que des faits et des rapports, et qui considère la pensée spéculative comme un superflu.