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coup la question d’Orient, et autour de laquelle la diplomatie semble s’ingénier à faire bonne garde pour en limiter au moins les conséquences. Il est de la nature de tels événemens de rester enveloppés d’un certain mystère. Qui a pu frapper ce prince Michel Obrenovitch, dont l’attitude réservée n’était point faite évidemment pour provoquer des pensées de meurtre ? Les assassins ont été pris, ils sont jugés en ce moment et même condamnés. Ce qui semble bien clair aujourd’hui, c’est que l’attentat de Belgrade n’est pas exclusivement une vengeance personnelle ; ce n’est pas non plus essentiellement un assassinat politique ; c’est peut-être l’un et l’autre, en ce sens que les meurtriers ont cru sans doute trouver dans une certaine situation un encouragement à leur tentative sanglante. Il y a en Servie, on le sait, bien des partis en lutte, et entre tous ces partis il en est un notamment ambitieux, ardent, dont le programme est d’en finir au plus vite avec la Turquie, de former au cœur de l’Orient un empire serbe en réunissant aux provinces déjà plus qu’à demi indépendantes d’autres provinces restées encore sous le joug ottoman. Nous ne discuterons pas les aspirations nationales de ce parti, dont la force est évidemment dans un vigoureux instinct de race, dont la faiblesse est dans ses affinités trop intimes avec la Russie, la grande et dangereuse patronne des chrétiens et des Slaves de la Turquie ; c’est lui qui a la main dans toutes les insurrections, qui est l’organisateur ou l’auxiliaire de tous les comités formés en Bulgarie, dans la Bosnie, dans l’Herzégovine ; c’est lui qui a poussé à des armemens démesurés à Belgrade en vue d’une conflagration prochaine de l’Orient. Pendant quelque temps, surtout dans ces deux dernières années, le parti grand-serbe a cru trouver dans le prince Michel Obrenovitch un instrument de ses desseins habilement fomentés par la Russie. Or depuis quelques mois le prince Michel avait fait visiblement un mouvement de retraite ; il se refusait à être l’allumette chimique qui devait mettre le feu à l’Orient ; il échappait à l’influence russe, toujours active à Belgrade, et se retranchait dans une prudente réserve, entretenant d’ailleurs de bonnes relations avec le gouvernement du sultan, encore plus avec l’Autriche, vers laquelle il était revenu. De là un assez vif mécontentement, allant jusqu’à l’animosité, qui s’était répandu parmi les grands-serbes et dont le principal organe était un journal publié à Meusatz, dans la Servie autrichienne.

Ce serait sans doute une injustice de conclure de là que le parti grandserbe avait prémédité le crime accompli dans le parc de Topchideré ; les meurtriers ont pensé tout au moins préparer son avènement au pouvoir. Peut-être aussi espéraient-ils servir les intérêts d’une autre famille princière, celle des Karageorgevitch, l’éternelle rivale des Obrenovitch, depuis que la Servie est à peu près indépendante ; mais ils ont été désavoués par les membres de cette famille, dont l’un a même déclaré qu’il ne voulait pas être « l’Augustenbourg du Danube. » Les meurtriers n’avaient