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évi-. Ces lois auraient passé, non pas sans discussion, mais sans difficulté ; elles auraient été enregistrées sans éclat et sans bruit, elles auraient occupé tout au plus quelques séances dont personne n’aurait parlé. Aujourd’hui les lois sont votées tout de même sans doute ; mais, on le sent bien, l’intérêt est moins dans le vote que dans ces débats si curieux, si bizarrement accidentés, où on a trouvé le moyen d’animer les chiffres en leur prêtant un langage passionné. Ce n’est plus une petite affaire enlevée au pas de course au déclin d’une session, et sous ce rapport ces discussions sont assurément instructives ; elles initient le pays à l’administration de ses intérêts, elles laissent entrevoir la nature de ce mouvement industriel et financier qui se poursuit depuis quinze ans, elles font la part des progrès réels et de ce qui n’est qu’une œuvre factice de spéculation conduisant à d’inévitables catastrophes. Par là ces simples discussions financières ont naturellement une portée politique, et par une coïncidence curieuse ce n’est pas même un membre de l’opposition qui a pris ce rôle d’inquisiteur, de liquidateur des opérations industrielles contemporaines, c’est un membre de la majorité qui s’est mis à ne rien ménager et à éclabousser un peu tout le monde de sa verve normande. M. Pouyer-Quertier, l’infatigable athlète de ces débats, peut bien avoir été hasardé et intempérant dans quelques-unes de ses assertions, et de plus, s’il n’y prend garde, il finira par trop parler ; mais enfin il n’aura pas moins contribué à secouer la torpeur du public sur toutes ces questions, à éclairer d’un reflet d’éloquence passionnée toutes ces discussions d’affaires.

Ce qu’il y a de remarquable dans ces débats, c’est que le gouvernemeflt lui-même semble subir l’influence de cet esprit nouveau ; il se sent transporté sur un terrain inexploré. Nous ne voulons pas dire certainement que M. le ministre d’état soit jamais embarrassé. M. Rouher a de l’éloquence pour toutes les situations, et c’est un tacticien habile qui ne se laisse pas facilement déconcerter ; mais il est bien clair que le gouvernement n’a plus la même assurance superbe, en ce sens qu’il ne croit plus possible de tout trancher invariablement par un mot. Il y a au besoin des solidarités qu’il décline, des habitudes qu’il désavoue presque, et, sans cesser de croire qu’il a répandu toute sorte de progrès sur la France, il ne laisse pas d’être dominé lui-même par la force d’une situation générale devant laquelle il se tient dans une diplomatique réserve ; il est embarrassé par des traditions d’omnipotence administrative qui ne sont plus de saison, qui deviennent de plus en plus une anomalie choquante. On pourrait dire que ce sentiment perce dans le langage de tous ceux qui parlent en son nom, qui ont coopéré à cette œuvre de quinze ans soumise aujourd’hui à une complète révision, et le dernier rapport que M. Haussmann a publié comme un préliminaire et une justification anticipée du prochain emprunt de la ville de Paris, ce rapport même.