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nipotence dans le gouvernement d’un pays n’est peut-être pas une garantie invariable de prévoyance et de sagesse. Elle sent la nécessité de remettre la main à ses affaires, de rentrer en possession d’elle-même ; sous la pression des choses, elle retrouve le goût d’un contrôle plus efficace. Quand on continue à lui parler de ses prospérités, elle veut bien y croire, mais elle veut aussi les sonder, les interroger, voir ce qu’elles contiennent, surtout ce qu’elles lui coûtent. Elle ne s’en rend pas compte, c’est l’instinct de la liberté qui renaît en elle dans ce que nous appellerions volontiers la faillite de l’absolutisme. Et ce n’est pas dans la société seule que ce sentiment se fait jour, il passe tout aussi bien et d’une certaine façon dans le gouvernement, qui n’a plus la même assurance, la même confiance dans sa propre infaillibilité. Entre gouvernans et gouvernés, il y a comme l’aveu muet d’une nécessité nouvelle. Les uns et les autres, dans une mesure différente, sentent que l’heure est venue de procéder à une sorte d’apuration du passé ; si on y regarde de près, c’est la signification la plus claire de la politique inaugurée le 19 janvier 1867 d’avoir marqué ce moment du passage de la société française dans une situation où elle rencontre à chaque pas tout un compte à régler, tout un ensemble d’habitudes et d’influences à secouer, où elle se trouve en face d’une véritable liquidation politique, morale et matérielle. Depuis ce jour, on pourrait affirmer que tout a le caractère d’une transition laborieuse, embarrassée et d’autant plus difficile qu’elle ne s’est pas produite dans un mouvement d’enthousiasme, qu’elle est née du sentiment obscur de l’impossibilité d’aller plus loin en persistant dans la voie qu’on avait suivie.

À vrai dire, quel autre sens ont réellement toutes ces discussions qui retentissent depuis quelque temps au sein du corps législatif et qui se prolongent en épisodes de toute sorte ? En apparence, ce sont des lois d’intérêt matériel qu’on discute et qu’on vote, ce sont des chemins de fer qu’on multiplie du nord au midi pour mettre le réseau français au niveau des réseaux étrangers, c’est la viabilité vicinale qu’on développe, c’est la compagnie des paquebots transatlantiques ou la société des messageries impériales qu’on dote de subventions nouvelles pour assurer les services de navigation dans les mers de l’Inde ou dans l’Océan-Atlantique et le Pacifique. Aujourd’hui c’est le budget qu’on commence à discuter, demain ce sera l’emprunt de la ville de Paris. Au premier aspect, toutes ces lois n’ont rien que de simple, elles ne dépassent pas la mesure habituelle des travaux législatifs ; au fond, il est facile de le voir, c’est plus qu’une discussion ordinaire, c’est un véritable inventaire des intérêts et des ressources du pays, des élémens de la fortune publique, des systèmes qui ortt été suivis ou qui sont encore mis en pratique. Tout est analysé et décomposé avec une curiosité presque rigoureuse et quelquefois embarrassante. Il y a quelques années à peine, ce n’eût point été ainsi évi-