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nage aux principaux monumens que l’architecture du moyen âge a laissés debout sur notre sol, et il ajoute qu’au retour de cette expédition il étonnait ses amis par la vivacité et la précision avec laquelle il décrivait les édifices qu’il avait visités, non pas que ses yeux débiles en eussent discerné nettement les détails, mais parce qu’une sorte d’intuition merveilleuse les représentait à son esprit tels qu’ils devaient être. C’est de la sorte, c’est avec la même intuition que ces deux glorieux rivaux se représentaient à eux-mêmes et représentent au lecteur les personnages qu’ils mettent en scène ou les événemens qu’ils racontent. Tous deux enfin, au prix d’une lutte courageusement entreprise contre une des plus grandes épreuves que la Providence puisse infliger à notre misérable humanité, ont conquis les deux biens de ce monde dont il est le plus rare de jouir en même temps, la réputation et la sérénité. On connaît cette parole touchante d’Augustin Thierry : « j’ai su me faire une amie de l’obscurité ! » D’un autre côté, l’on a vu dans ce récit combien paisible et l’on peut dire heureuse s’est écoulée la vie de Prescott. Il y a dans le spectacle de ces deux existences si exclusivement consacrées à l’étude et si généreusement récompensées quelque chose qui donne courage et qui fortifie. Qu’ont-ils à regretter de n’avoir point joué un rôle actif dans le mouvement tumultueux des affaires publiques, et d’avoir cédé à une inexorable nécessité en vivant en dehors et au-dessus des querelles bruyantes de leur temps? On assignerait un rang trop humble au travail abstrait et désintéressé de la pensée, si l’on ne voulait y voir qu’un port de refuge ouvert à tous ceux que le flot inconstant de la politique rejette désemparés sur le rivage. N’est-ce pas après tout le champ le plus glorieux et le plus vaste qu’il soit donné à l’homme de féconder? N’est-ce pas le seul terrain où il puisse semer des germes qui poussent de profondes racines et des rameaux éternellement vivaces? Aux heures de trouble et d’anxiété, des hommes comme Augustin Thierry et Prescott sont là pour nous le rappeler. Ils sont là pour nous dire que le sein toujours ouvert de l’étude offre aux impatiens et aux découragés le même asile qu’au dire de vers immortels le sein toujours ouvert de la nature offre à l’homme désabusé des affections d’ici-bas. Au fond de cet asile où ils cherchaient surtout le repos de l’âme, l’un et l’autre ont rencontré la gloire. Sans espérer autant, on peut être sûr d’y trouver au moins l’indépendance, la dignité, l’emploi de sa vie. C’est déjà beaucoup pour un enfant de la seconde moitié du XIXe siècle.


OTHENIN D’HAUSSONVILLE.