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1859, il fut subitement frappé au moment où il entrait dans son cabinet de travail, et quelques heures après, entouré de sa femme, de ses enfans, de la sœur favorite qui avait été la compagne et la confidente de ses premières années, de son vieil ami M. Ticknor, accouru à son chevet, il rendait le dernier soupir. Mourir au milieu de ceux qu’il aimait était une des choses qu’il avait le plus désirées. On trouva dans son testament l’expression d’un vœu singulier. Il demandait instamment qu’avant d’être conduit vers sa dernière demeure, son corps fût déposé pendant quelques heures dans ce cabinet de travail où il avait passé les plus douces heures de sa vie. Sa dernière volonté fut religieusement accomplie. Le même jour, son cercueil était porté à l’église et descendu dans le caveau où dormaient déjà ses parens et la petite fille qu’il avait si tendrement aimée, au milieu des sanglots de ses amis et de l’émotion générale d’une assistance qui dépassait en nombre tout ce qu’il est possible d’imaginer. Bien des gens qui avaient vu Prescott une fois ou deux dans leur vie ou qui ne le connaissaient que de nom avaient suivi jusqu’au bout le funèbre cortège. La tristesse était peinte sur tous les visages, et il était facile de voir, ajoute le fidèle biographe auquel le dernier mot doit appartenir ici, « que tout le monde avait fait une grande perte, et qu’une lumière bienfaisante autant que brillante venait d’être éteinte par la main de la mort. »

Prescott a été précédé de bien peu d’années dans la tombe par un autre écrivain non moins illustre, non moins éprouvé, et qui a cherché comme lui dans les joies du travail un adoucissement aux plus cruelles souffrances du corps : nous voulons parler d’Augustin Thierry. Son nom se rencontre parfois dans la biographie de Prescott; mais il n’est pas besoin de l’y trouver pour que la pensée se reporte à chaque instant vers lui. Que de points communs en effet dans la destinée et dans la nature de ces deux hommes ! Tous deux ont dû déployer une énergie presque égale pour triompher des obstacles que leur infirmité commune opposait à la force de leur volonté. Tous deux se sont consacrés, Prescott pour les populations indigènes du Mexique, Thierry pour celles de la Grande-Bretagne, à célébrer, on pourrait presque dire à chanter les malheurs de deux races fières et généreuses écrasées l’une et l’autre sous la barbarie de la conquête. Tous deux ont su colorer des reflets d’une imagination brillante les épisodes les plus obscurs d’une histoire à peine connue. Dans une des pages les plus touchantes qu’il ait écrites, Thierry nous raconte que, s’étant condamné à un repos absolu dans l’espérance de sauver encore ce qui lui restait de vue, il essaya de tromper son ennui en entreprenant une sorte de pèleri-