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clination. Jusqu’à la fin, il devait célébrer les prouesses de cette grande et forte race espagnole, qui a soutenu partout une lutte désespérée en faveur des principes les plus opposés aux tendances et aux sympathies d’un citoyen du Nouveau-Monde, et les représentans les plus acerbes ou même les plus odieux de ces principes n’ont jamais trouvé en lui qu’un juge impartial et intelligent. Prescott n’est pas le seul exemple de cette singularité, et l’on sait avec quelle scrupuleuse équité un de ses compatriotes faisait naguère passer sous nos yeux une des époques les plus agitées de l’histoire d’Espagne, la révolte des Pays-Bas. N’en faut-il pas conclure que, pour raconter sans passion et sans parti-pris les querelles de notre vieille Europe, les enfans de la jeune Amérique ont comme une naturelle supériorité? Pour nous, ces luttes sont d’hier, la bataille est à peine gagnée; victorieux ou vaincu, personne n’est assez sûr de sa victoire ou de sa défaite pour ne pas préparer en secret les armes d’un nouveau combat. Pour eux au contraire, le fantôme d’un passé redoutable ne vient point hanter leur esprit; les regards qu’ils jettent en arrière ne réveillent aucun irritant souvenir, ils n’ont rien à craindre et rien à désirer. Quoi d’étonnant, s’ils ne s’enflamment point au récit de nos disputes sanglantes? Elles n’éveillent chez eux qu’un intérêt de curiosité, on pourrait dire d’archéologie, ils n’ont point de peine à les raconter sans s’émouvoir. Ce n’est pas là un des moindres avantages que leur donne sur nous la liberté entière et assurée dont ils jouissent. Plaise à Dieu que nous le partagions un jour avec eux!

Avant d’arriver au terme de son entreprise, Prescott devait connaître bien des épreuves et bien des souffrances. Durant ces trois dernières années, sa vue avait semblé se fortifier. Sans pouvoir jamais se passer complètement de l’aide d’un secrétaire, il en était arrivé cependant à pouvoir lire sans fatigue quelques heures par jour; mais cette amélioration ne devait pas être de longue durée. Par un triste et singulier hasard, ce fut une longue lettre écrite par lui à un de ses amis résidant en Espagne pour l’informer de sa résolution définitive et solliciter son concours qui détermina la rechute. Le lendemain même, il se vit contraint de s’enfermer de nouveau dans une chambre complètement fermée à la lumière, d’où il ne devait sortir au bout de quatre mois que pour y rentrer à de fréquens intervalles. Il était au plus fort de ses souffrances quand il reçut les premiers envois de l’ami auquel il s’était adressé. « J’étais-là, écrivait-il lui-même plus tard, au milieu de mes trésors transatlantiques, comme quelqu’un qui souffrirait de la faim au milieu de l’abondance. » Le besoin d’un secrétaire se faisait donc plus que jamais sentir. La chose était malaisée à trouver, car il fallait