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femme à la reine à l’occasion du mariage de sa fille. La pauvre vieille, recevant une visite de charité de la dame et châtelaine de Balmoral, la plaint bien sincèrement d’une séparation imminente et si cruelle pour toutes les mères.

Dans cette vie de loisir et de paix, la royauté reparaît une fois ou deux, par exemple à l’occasion de la mort du duc de Wellington. La reine était partie le matin du 16 septembre 1852, ayant appris par dépêche que le Sun annonçait cette mort, mais n’y croyant pas. Arrivée sur le haut du Stron et du Moss of mon Elpie, elle s’aperçut qu’elle n’avait plus sa montre, justement un présent du vieux duc. Elle envoya un de ses gens pour s’assurer si le bijou auquel elle tenait d’affection était resté à Balmoral ou si elle l’avait perdu. De retour, son domestique la rassura sur la montre, mais lui apporta une lettre de lord Derby.


« Je l’ai ouverte en la déchirant, dit-elle; elle confirmait la fatale nouvelle. L’orgueil de l’Angleterre ou plutôt de la Grande-Bretagne, sa gloire, son héros, le plus grand homme qu’elle ait porté, n’était plus... Triste journée! grande et irréparable perte pour la nation! La volonté de Dieu soit faite! L’heure était venue sans doute, il avait quatre-vingt-trois ans. C’est bien, pour lui du moins, parce qu’il a été enlevé maître encore de son grand esprit et sans longues souffrances; mais quelle perte! On ne se fait pas à l’idée, one cannot think, de ce pays-ci sans le duc, notre immortel héros! Sa position était la plus haute qu’un sujet pût avoir, au-dessus des partis, regardé par tous avec admiration, révéré de la nation entière, l’ami de la souveraine, et combien il portait tout cet honneur avec simplicité! Quelle franchise, quelle fermeté, quel courage, le guidaient dans toutes ses actions! La couronne n’a jamais possédé, et, je le crains, ne possédera jamais un si dévoué, si loyal, si fidèle sujet, un si solide défenseur ! Pour nous, sa perte est sans remède, car son empressement à nous secourir et à nous conseiller en cas de besoin était sans égal. Il montrait à Albert le plus vif attachement et la plus grande confiance. Et puis son expérience, sa connaissance du passé, étaient si rares! Il était un lien qui nous rattachait aux temps qui ne sont plus, un anneau entre ce siècle et le dernier... Nous sommes revenus à la hâte,... tout notre plaisir était gâté; un nuage de tristesse pesait sur nous. »


Après ce jour de deuil, un mois s’écoule sans que le journal fasse mention d’aucune promenade.

Rien n’est plus naïf que la peinture de l’entrain avec lequel la famille royale rebâtit son château. Un programme solennel est rédigé pour la pose de la première pierre; les détails en sont arrêtés d’avance par la reine, qui daigne les transcrire dans son journal.