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blante d’émotion, cette narration nous mène depuis les premiers mois de l’enfance de Prescott jusqu’au jour de sa fin si soudaine avec un intérêt qui ne cesse pas un instant de s’accroître. Cet intérêt est dû à l’abondance des détails qui ont le charme de la vérité, au soin minutieux avec lequel l’ami nous fait pénétrer dans les replis de l’âme de son ami, et par-dessus tout à je ne sais quel souille de tendresse qui anime ces pages consacrées au récit d’une simple et parfois douloureuse existence. Ce n’est pas, à vrai dire, dans l’abondance et l’imprévu des événemens qu’il faut chercher le véritable attrait de la vie de Prescott. Cette vie s’est écoulée tout entière dans l’enceinte de son cabinet, sur le seuil duquel il semble que les clameurs du dehors soient toujours venues expirer. Dans cette Amérique que notre ignorante imagination se représente involontairement comme si désordonnée, si bruyante, qui sitôt après sa mort devait être livrée aux horreurs de la guerre civile, le sort lui a ménagé une destinée dont le calme aurait fait envie à un moine du Mont-Cassin. Il a vécu pour le travail, il est mort en travaillant. Nous avons pensé cependant que dans le spectacle de l’indomptable énergie avec laquelle il a lutté contre sa triste infirmité, dans l’analyse de ses procédés habituels de composition, enfin et surtout peut-être dans l’étude de sa pure et noble nature, il y aurait quelque chose d’instructif et d’attachant. Grâce aux larges emprunts que nous ferons à l’ouvrage de M. Ticknor et grâce à la célébrité du nom de Prescott, nous espérons qu’on en voudra bien juger ainsi.


I.

William Hickling Prescott naquit à Salem, petite ville de la Nouvelle-Angleterre le à mai 1796 de William Prescott, avocat distingué, plus tard juge à Boston, et de Catherine Hickling, fille d’un commerçant du Massachusetts. La famille Prescott se vantait de descendre en ligne directe d’un de ces glorieux émigrans du XVIe siècle qui, sacrifiant leur patrie à leur foi, vinrent demander la liberté religieuse aux plages désertes du Nouveau-Monde. Les premiers ancêtres de l’historien furent, nous dit-on, des hommes énergiques et intelligens qui exercèrent une grande influence sur les destinées de la colonie naissante. Pareils souvenirs ne sont pas, à ce qu’il paraît, dans la démocratique Amérique chose tout à fait indifférente, et maintes fois le jeune William prêta l’oreille au récit des exploits accomplis par un de ses aïeux qui, marchant à l’encontre des Indiens sous l’abri d’une cotte de mailles, jetait par sa seule apparition la terreur dans leurs bandes inexpérimentées. Maintes fois aussi on célébra devant lui le rôle que son grand-père avait joué dans la