Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

récoltes. « Tout homme, avait dit Mirabeau dans la fameuse nuit du 4 août, a droit de chasse sur son champ ; nul n’a droit de chasser sur le champ d’autrui. » Ce principe résumait toute la loi. La restriction relative aux récoltes avait été faite dans l’intérêt de l’agriculture et non dans celui de la conservation du gibier, dont les propriétaires étaient les maîtres de disposer à leur gré.

La loi de 1844, provoquée par les réclamations d’un grand nombre de chasseurs qui, alors comme aujourd’hui, se plaignaient de la disparition du gibier, a pour objet la protection de celui-ci. Bien que dans l’exposé des motifs les droits des propriétaires eussent été explicitement reconnus, les dispositions de la loi sont en contradiction complète avec cette déclaration ; le gibier y est considéré, non comme une dépendance de la propriété, mais comme une chose n’appartenant à personne, une res nullius dont le législateur doit réglementer l’usage. Si la loi défend de chasser sur les terres d’un propriétaire sans son assentiment, ce n’est pas parce qu’elle lui reconnaît un droit quelconque sur le gibier qui s’y trouve, mais parce qu’elle lui laisse celui d’empêcher les étrangers de pénétrer sur son domaine ; cela est si vrai que, lorsque ce propriétaire veut chasser lui-même, il ne peut le faire que pendant une partie de l’année, en se munissant d’un permis, et en se soumettant à tous les règlemens ministériels et préfectoraux que comporte la matière. Cette contradiction entre les principes proclamés et les dispositions de la loi a été vivement mise en lumière lors de la discussion de la chambre des députés. Un grand nombre de membres réclamèrent le maintien de la législation de 1790, et ce n’est qu’après six semaines de débats animés que le projet fut voté par 251 voix contre 146.

Cette loi a-t-elle produit les résultats qu’on en attendait ? Il y a lieu d’en douter, à entendre les plaintes des chasseurs sur la disparition progressive du gibier, et à en juger par le nombre croissant des délits de chasse constatés. De 14,217 qu’il était en 1845, ce nombre est arrivé à 20,198 en 1864, après avoir, en 1859, atteint le chiffre de 25,000[1]. Avant de discuter les principes sur lesquels repose cette législation, jetons un coup d’œil sur celle de la Suisse et de l’Allemagne, dont le régime agricole se rapproche beaucoup du nôtre.

  1. La complication de cette loi se manifeste d’ailleurs par le nombre considérable des commentaires qui en ont été publiés, par les jugemens aussi bizarres qu’illogiques qui ont été rendus. C’est ainsi que des chefs de trains de chemins de fer ont été poursuivis et condamnés pour avoir transporté du gibier qui se trouvait à leur insu dans des colis qu’ils n’avaient aucun moyen de vérifier. Une autre fois, c’est un propriétaire condamné pour avoir, avec l’autorisation du ministre de l’intérieur, transporté en temps prohibé des chevreuils vivans d’une de ses forêts dans une autre qu’il voulait repeupler.