Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

points où l’on supposait que la chasse irait passer. Quelques équipages conservent encore cette tradition, mais le plus souvent ou attaque de meute à mort, c’est-à-dire sans relais.

C’est au moment du lancé qu’il faut examiner avec le plus grand soin le pied de l’animal, afin de l’avoir toujours présent à la mémoire et de pouvoir le reconnaître dans le cours de la chasse ; ce point est d’autant plus important que la grande difficulté consiste dans les changes fréquens qui se produisent. Quand l’animal est fatigué, sa principale ruse consiste à faire lever un autre cerf ou une harde de biches et à les pousser devant lui ; il importe donc alors de pouvoir débrouiller la véritable voie de celle des animaux de change, ce qu’on ne peut faire que par la connaissance approfondie du pied. Dès qu’un change est signalé, on arrête la meute, et lorsque la bonne voie est retrouvée, on y remet les chiens. Le cerf lancé file généralement en ligne droite, parfois il fait des hourvaris, c’est-à-dire qu’il revient sur ses pas, cherche à emmêler ses voies, et finit par faire un bond de côté pour se dérober à la poursuite ; c’est à déjouer ces ruses que le veneur doit s’appliquer.

À mesure que le cerf se fatigue, sa voie devient plus chaude et les chiens redoublent d’ardeur. Lorsqu’il est sur ses fins, il a l’habitude de se raser, et il faut quelquefois que les chiens le touchent pour le faire partir. C’est alors que l’animal exténué a recours à sa dernière chance de salut : il se précipite dans un étang, espérant ainsi se mettre à l’abri des chiens et faire perdre sa trace ; mais la meute implacable le poursuit dans ce dernier refuge. En ce moment il redouble d’énergie, et use ce qui lui reste de force dans une lutte suprême ; il se défend de la tête et des pieds, et parfois fait payer sa vie en éventrant quelques-uns de ses ennemis. Enfin l’un des chasseurs termine son agonie par un coup de couteau ou un coup de carabine. C’est l’hallali. Aussitôt après on procède à la curée, c’est-à-dire qu’on distribue à la’ meute les entrailles de la bête, et l’on accompagne cette scène de carnage de fanfares joyeuses, comme si l’on venait de remporter une victoire signalée.

La chasse au cerf, on le voit, ne laisse pas d’être assez cruelle et d’émouvoir ceux que le mouvement des chevaux, le son des trompes, les aboiemens des chiens, ont pu laisser de sang-froid. Ce sentiment de pitié ne se retrouve pas dans la chasse au sanglier, car si le cerf n’a contre ses ennemis d’autre ressource que la fuite, le sanglier a ses défenses, dont il se sert vigoureusement aussi bien contre les chiens que contre les hommes qui l’approchent quand il fait tête. La chasse au sanglier d’ailleurs ressemble à la chasse au cerf, avec cette différence que le sanglier, plus confiant dans sa force, cherche moins à ruser ; doué d’une grande vigueur, il par-