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sont passionnées les résistances réciproques lorsqu’il s’agit de déterminer le partage des charges. Des deux côtés on croit avoir fait déjà plus qu’il ne fallait, et on ne se résigne au sacrifice que pour ne pas compromettre la transaction qui est la base essentielle du nouveau pacte social; si la politique royale prétendait imposer de nouvelles charges, il est évident que les résistances amorties si difficilement se ranimeraient avec un redoublement d’énergie.

Nous venons de voir que, pour solder l’arriéré d’une politique dont elle n’avait recueilli que des fruits amers, la Hongrie s’est imposé à elle-même de lourdes obligations; si elle adhérait encore à un emprunt, à une cotisation dans des frais de guerre, son système financier, qui n’est jusqu’à présent qu’un échafaudage théorique, serait renversé; le programme économique qu’elle inaugure, il faudrait le déchirer. Dans les pays autrichiens, la résistance ne serait pas moins vive, parce qu’il y existe des intérêts et des sentimens analogues. Engagée par une solidarité plus étroite dans la politique de l’ancien empire, l’Autriche proprement dite s’est chargée à ses risques et périls de la liquidation du passé : l’engagement était si lourd qu’elle désespérait d’y faire honneur; elle a cru nécessaire d’infliger aux créanciers cette réduction de 16 pour 100 qu’on lui a tant reprochée. Malgré cet expédient, l’équilibre de son budget sera laborieux : avec la surcharge d’un emprunt ou d’un armement, elle glisserait dans l’impossible. Or les débâcles financières ouvrent les brèches par où pénètre la réaction, cela est connu. Les anciens sujets de l’empire n’ont rien à attendre des aventures belliqueuses, si ce n’est la restauration d’un passé dont ils n’ont pas à se féliciter. La paix est une condition essentielle de leur liberté, et la nouvelle organisation leur fournit les moyens de résister pacifiquement à la guerre. Tout annonce qu’ils sont fermement résolus à faire usage de leurs droits. Les politiques et les stratégistes qui compteraient sur l’alliance de la maison d’Autriche pour de grands desseins sont des gens assoupis depuis dix ans et qui font un véritable rêve. Que les hommes imbus de la science traditionnelle des chancelleries soient bouleversés par une telle nouveauté, qu’ils n’y veuillent pas croire, nous n’en sommes pas surpris. Ce grand changement, qui s’est opéré à petit bruit et sans violence, mais qui a plus de portée que bien des révolutions sanglantes, est l’œuvre peut-être involontaire des hommes d’état auxquels la Hongrie doit son indépendance : l’étude que nous venons de faire du budget hongrois nous autorise à croire que ces résultats seront durables.


ANDRE COCHUT.