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éprouva l’embarras du mineur subitement émancipé au sortir d’une étroite tutelle. On s’effrayait de l’héritage du passé; l’idéal du nouveau régime n’était pas encore dessiné dans les esprits. Pour les postes élevés, le pays possédait un certain nombre d’hommes éminens; mais la retraite du personnel autrichien, qui était vue d’ailleurs sans peine, laissait l’administration inférieure à peu près désorganisée. Les caisses publiques étaient vides, le crédit et les moyens de travail allaient dépendre des impressions mobiles du public européen. Par bonheur, une prodigieuse récolte, coïncidant avec la rareté et les hauts prix partout ailleurs, leva bien des difficultés en répandant l’aisance dans le pays. Le ministère responsable se constitua sous l’influence du parti modéré, qui avait conduit si habilement et mené à bonne fin la révolution. Si dans les vieux états, où les ressorts fiscaux sont agencés depuis longtemps, le choix d’un ministre des finances est chose grave, il l’est à plus forte raison dans un pays où il n’y a pas de précédens. L’opinion publique désigna pour ce poste M. de Lonyay, économiste exercé, qui avait fait preuve de connaissances spéciales par la manière dont il avait introduit et fait réussir le crédit foncier en Hongrie.

M. de Lonyay prit possession de son portefeuille le 10 mars 1867. On peut mesurer par l’immensité de la tâche ce qu’il dut déployer d’aptitude et d’activité. Pendant les derniers mois de l’année, il eut à diriger la pratique journalière de la fiscalité en se servant de la machine détraquée qui allait disparaître. En même temps il fallait préparer théoriquement les bases du régime nouveau. Les résultats de l’année 1867, centralisés par la ci-devant cour des comptes, n’étaient pas encore débrouillés il y a deux mois; on savait toutefois que cet exercice, pour lequel une ébauche de budget avait été improvisée par le ministre, n’avait laissé aucune déception. Les résultats ont atteint les chiffres prévus, aucun service n’est resté en souffrance : les annuités consacrées au rachat des anciens droits féodaux ont été acquittées, les versemens à faire en Autriche pour les dépenses communes et pour la quote-part de la dette impériale ont été effectués; il est même resté en fin de compte un report à l’actif de l’année suivante. Ce résultat, obtenu au milieu des anxiétés et des tâtonnemens de la transition, est digne de remarque : le bon sens et le patriotisme de la population y ont contribué; il est de bon augure pour l’avenir financier du pays.

Un budget n’est que la mise en œuvre d’une législation permanente : il ne peut être dressé régulièrement qu’en vertu d’un ensemble de lois organiques qui ont autorisé préalablement les dépenses et les impôts. Le code fiscal était à créer. Dès le 1er janvier 1868 fonctionnait sous la direction du ministre une commission de