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nades pour se dérober au monde, puis encore une résidence nouvelle qu’on s’est choisie, qu’on a bâtie soi-même, enfin les promenades devenues des voyages et le plaisir de voir du pays ajouté à celui de vivre ensemble, n’est-ce pas la condition commune de tous ceux à qui a été accordée une fortune moyenne, et qui ont su s’en contenter? Après deux années de vie officielle et de loisir calme et reposé dans les résidences où ont passé tour à tour les dynasties d’Angleterre, le couple royal prend sa volée pour la première fois en 1842. Le château de Windsor est grand et vraiment royal; les poètes ont célébré sa forêt, toute composée de ces chênes qu’un d’entre eux, Shenstone, compare au caractère de l’Anglais de la vieille roche, solide, vaillant et fier. A ses pieds, la Tamise déroule lentement les replis qui ont fait donner son nom à la résidence de Guillaume le Conquérant et d’Edouard III. Là sont les plus beaux souvenirs de la royauté; l’ordre de la Jarretière y a été fondé. Ce palais, ces bois, ce fleuve, rappellent Chaucer, Shakspeare, Surrey, la plupart des illustres poètes de la nation. Windsor, comme on l’a dit, est une image visible de la constitution anglaise par la grandeur, la force, l’antiquité, par la variété même de ses constructions, où vingt générations ont mis la main; mais Windsor peut-il être la résidence d’affection d’une royauté moderne, bourgeoise et faite à l’image de ces classes moyennes qui règnent et gouvernent, et se voient bientôt remplacées par d’autres plus simples encore et plus prosaïques? Osborne est tout moderne, il est l’œuvre commune de la souveraine et du prince, qui l’ont acheté et bâti; mais il ne peut suffire aux besoins et aux plaisirs de toute la belle saison. Il a d’ailleurs un défaut commun avec Windsor : il n’est pas assez loin de Londres, des affaires et, pour tout dire, de la royauté, à laquelle il est si bon d’échapper durant quelques semaines. La majesté de Windsor est accablante; Osborne, c’est encore le monde et la cour avec l’inévitable monotonie de la mer; de quel côté fuir l’étiquette, la dignité du rang, la dissipation, si ce n’est dans les montagnes d’Ecosse?

Le premier voyage dans ce pays est le moins caractéristique. C’est une tournée officielle de la jeune reine parmi ses fidèles sujets du nord. Tout ce qui peut appeler l’attention, c’est la réception de la souveraine chez les lords dont le château se trouve sur son itinéraire, coutume féodale, mais qui s’accorde à merveille avec la simplicité moderne. Nous n’en sommes pas encore là : chez nous, la royauté qui s’est le plus rapprochée des façons communes de vivre n’a pu descendre jusqu’à ces relations d’égalité. Une visite à un particulier est un événement. Ces réceptions sont notées par la reine Victoria avec détail, et la royale visiteuse n’oublie pas de