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moins un organe. Quand on coupe la rate d’un jeune mammifère en plusieurs morceaux, chacun des morceaux peut reproduire l’organe complet, ce qui semble indiquer que le tissu de la rate conserve les attributs des organisations inférieures. Qui ne connaît aussi la reproduction des pattes d’écrevisses, des tentacules d’escargots, de la queue des têtards de grenouilles? A mesure qu’on s’élève dans l’échelle des animaux, les centres de formation se spécialisent de plus en plus, et pour les êtres supérieurs il n’y a qu’une cellule spéciale, la cellule ovarique, qui puisse reproduire l’être entier.

Mais ces êtres microscopiques que l’on connaît sous le nom d’infusoires viennent aussi fournir à la physiologie des faits intéressans qu’elle compare au développement cellulaire. Les kolpodes, les paramécies, ont été dans ces dernières années, pour M. Coste, puis pour M. Balbiani, l’objet d’études importantes. Or on ne peut s’empêcher d’établir une sorte de rapport entre ces animaux infiniment petits et ces autres organismes élémentaires qui, juxtaposés en quantité innombrable, constituent le corps des animaux supérieurs. M. Coste a montré comment deux kolpodes se réunissent pour former un kyste, et comment cette masse commune se fractionne pour donner naissance à de nouveaux animaux par un procédé tout à fait comparable à celui qui régénère les cellules. M. Balbiani a reconnu le premier chez certains infusoires les apparences mêmes que présentent les cellules anatomiques, c’est-à-dire l’existence d’un noyau et d’un nucléole. Il a prouvé d’ailleurs qu’à l’aide de ces deux élémens il y a chez les paramécies une véritable génération sexuelle; le noyau joue le rôle d’un ovaire, et le nucléole donne des spermatozoïdes. Nous nous trouvons donc là en face de phénomènes qui montreraient l’identité absolue de la nutrition et de la génération, si l’on admettait dans toute sa rigueur le rapprochement que nous faisions tout à l’heure entre les infusoires et les cellules élémentaires. Il est certain que M. Claude Bernard pousse très loin la similitude entre la nutrition et la génération. On ne saurait même dire où il s’arrête dans cette voie, ni s’il y a un point où il s’arrête. Peut-être faut-il donner à sa pensée une portée tout à fait générale. En tout cas, on ne peut qu’attendre avec une vive impatience la publication de recherches encore inédites qu’il annonce sur cette matière. Jusqu’à plus ample informé, on pourra garder sur cette opinion la réserve que recommandait sur certains sujets scientifiques un savant aimable, mais un peu sceptique, Fontenelle. « Il faut ne donner, disait-il, que la moitié de son esprit aux choses de cette espèce que l’on croit, et en réserver une autre moitié libre où le contraire puisse être admis, s’il en est besoin. »