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longueur et tous les deux de la même façon; la différence que l’on observe vient seulement du procédé que l’on emploie pour en constater la dégénérescence.

Voilà quelques-unes des considérations par lesquelles on défend la théorie de la neurilité unique; mais à ces argumens, en quelque sorte négatifs, car ils tendent seulement à détruire une distinction de propriétés que M. Vulpian regarde comme chimérique, on ajoute des preuves directes. Si les nerfs moteurs et les nerfs sensitifs n’ont point de propriétés distinctes, ils doivent pouvoir se suppléer les uns les autres, on doit pouvoir remplacer un nerf d’une espèce par un nerf de l’autre espèce. M. Vulpian s’est attaché à le démontrer par une expérience faite en commun avec M. Philipeaux, et qui a eu une grande notoriété. Sur un chien, les expérimentateurs coupent le nerf hypoglosse, qui est le nerf moteur de la langue, et le lingual, qui en est le nerf sensitif. Ils réunissent par un point de suture la partie centrale du lingual à la partie périphérique de l’hypoglosse. Au bout de quelques mois, quand la jonction s’est consolidée, si l’on observe ce nerf hybride formé de deux tronçons d’espèces différentes, on reconnaît que la partie sensitive peut agir comme fibre motrice et produire directement les mouvemens de la langue. Dira-t-on, en se résignant à admettre la neurilité unique, que du moins les nerfs moteurs transmettent l’action nerveuse dans un certain sens, les nerfs sensitifs dans le sens contraire, que les premiers ne se prêtent qu’à une action centrifuge, les seconds à une action centripète? Ici viennent se placer les expériences de M. Bert sur la greffe animale. M. Bert prend un rat, lui greffe le bout de la queue sous la peau du dos, et quand le travail de cicatrisation est suffisamment avancé, coupe la queue à sa base. L’animal se trouve ainsi pourvu d’un appendice artificiel dont les nerfs sont en quelque sorte retournés. Dans les premiers mois, cette queue factice ne donne que de faibles marques de sensibilité; mais au bout d’un an elle a repris une sensibilité à peu près normale. Les excitations y suivent donc alors une marche inverse de celle qu’elles suivaient précédemment, et il n’est plus possible d’admettre que les fibres ne se prêtent à l’action nerveuse que dans un sens déterminé.

Nous n’avons pas la prétention de montrer ici toutes les faces de cette controverse; nous n’avons pas non plus, comme on pense, l’idée de trancher une question qui est encore débattue entre les maîtres de la science. Nous avons voulu montrer seulement comment la pensée favorite de M. Claude Bernard, celle de l’autonomie différentielle des propriétés physiologiques, doit être appliquée avec prudence et discernement. Dès le début, sur une question fondamentale, elle met le maître en opposition avec quelques-uns de ses disciples les plus éminens. « Quand on généralise dans une