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Comment alors vont s’expliquer les expériences fondamentales de M. Claude Bernard sur l’empoisonnement curarique? Comment se fait-il que le curare paralyse la fibre motrice en respectant la fibre sensitive? D’où vient cette distinction, si la neurilité est identique dans les unes et les autres? Le phénomène s’explique naturellement, répond M. Vulpian, si l’on admet que l’action curarique a pour effet de détruire les points où la fibre nerveuse s’attache à la fibre musculaire. Ces plaques terminales par où le nerf moteur s’insère dans le muscle sont encore mal connues malgré les travaux de MM. Kühne et Rouget. On est porté cependant à y voir une sorte d’épanouissement du cylindre-axe nerveux, qui, débarrassé de ses enveloppes, entre en communication plus intime avec la fibre musculaire. Que ces points d’attache soient détruits par le curare, que le nerf moteur soit ainsi séparé du muscle, et l’excitation nerveuse ne peut plus produire la contraction; mais la neurilité demeure intacte dans le nerf moteur tout comme dans le nerf sensitif, et il n’y a là aucune spécification physiologique à introduire entre eux.

Que devient maintenant cet autre argument que l’on tire de la façon contraire dont meurent les deux ordres de nerfs? Le nerf moteur, dit-on, meurt du centre à la périphérie, le nerf sensitif de la périphérie au centre. Il n’est pas besoin, répond M. Vulpian, de recourir à une dissemblance dans les propriétés pour expliquer ces effets contraires; admettez seulement, ce qui ne saurait être contesté, que la mort des nerfs est progressive, c’est-à-dire qu’à partir du moment où cesse leur vie normale ils perdent graduellement leur excitabilité et leur aptitude à conduire l’excitation. Pourvu que vous vous placiez à ce point de vue, les faits vont s’expliquer d’eux-mêmes. S’agit-il d’une fibre motrice, on observera peu de temps après la mort qu’une excitation d’une certaine intensité, faite sur un point assez distant de la périphérie, et qui pendant la vie aurait déterminé une contraction musculaire, sera devenue incapable de produire cet effet : il faudra, pour obtenir la contraction, augmenter la force excitatrice ou la faire porter sur un point plus rapproché du muscle. Est-ce à dire que ce nouveau point d’attaque soit plus vivant que le précédent? Non, mais le nerf entier est moins excitable, il faut s’y prendre de plus près, et l’on comprend bien qu’on sera obligé d’appliquer la force d’excitation d’autant plus près du muscle que le temps écoulé depuis la mort sera plus considérable. Ne voit-on pas de même et pour la même raison que, s’il s’agit de nerfs sensitifs, il faudra que l’excitation aille en se rapprochant de plus en plus du centre nerveux? On se laisse donc tromper par les apparences, si l’on dit que les deux nerfs différens meurent en sens contraire; ils meurent à la fois dans toute leur