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mémorables. Personne n’ignore les belles expériences qu’a inaugurées M. Claude Bernard à l’aide d’un poison indien, le curare ou woorara. Différencier par des artifices convenablement choisis les propriétés des divers élémens physiologiques, tel est le principe de recherche dont M. Claude Bernard sait tirer les développemens les plus féconds et auquel il assigne un caractère tout à fait général. Il a fait ainsi dans l’étude des élémens musculaires et nerveux un pas décisif en créant ce qu’on peut appeler la méthode des poisons. Le curare, qui n’était, il y a quinze ans, qu’un objet de curiosité, a pris maintenant une importance spéciale comme instrument d’étude. On le trouve dans tous les laboratoires de physiologie comme un réactif indispensable dans l’analyse des fonctions vitales.

A l’aide du curare, M. Claude Bernard a d’abord démontré que la propriété contractile du muscle est indépendante de la puissance motrice du nerf. C’était une question anciennement controversée de savoir si le muscle est contractile par lui-même, c’est-à-dire s’il peut se contracter sous l’influence d’excitans directs, ou s’il ne peut être mis en jeu que sous l’influence nerveuse. Haller faisait bien de l’irritabilité une propriété spéciale et autonome des muscles[1]; toutefois les démonstrations que l’on donnait de l’irritabilité hallérienne n’avaient rien de concluant. On retirait un morceau de muscle d’un animal vivant ou mort récemment, et on voyait cette chair se contracter sous des excitations artificielles : on voyait persister les mouvemens spontanés du cœur extrait d’un animal vivant; mais pas plus dans un cas que dans l’autre les muscles n’étaient purgés de nerfs, et rien ne prouvait que le mouvement ne fût pas dû à une action nerveuse. Les faits révélés par M. Claude Bernard sont venus démontrer péremptoirement l’exactitude de l’hypothèse d’Haller.

C’est en 1844 que M. Claude Bernard commença ses expériences sur les effets du curare. En 1850, il publia le résultat d’essais faits en commun avec M. Pelouze, et enfin il donna en 1865 l’ensemble du cours qu’il professait à ce sujet au Collège de France. Il serait superflu de rappeler aux lecteurs de la Revue le détail de ces travaux ; ils n’ont point oublié l’exposé brillant qu’en a fait l’auteur lui-même[2]. L’action toxique du curare consiste spécialement à paralyser les nerfs moteurs; c’est la mort de cet élément particulier qui, dans un animal empoisonné par le curare, entraîne la mort générale. En observant l’animal avant sa mort totale ou en procédant

  1. Cette question est d’une importance capitale pour décider de l’origine de certains mouvemens musculaires, parmi lesquels on peut citer les battemens du cœur. Dans la théorie de Haller, l’irritabilité directe des parois cardiaques est la cause principale du jeu de cet organe.
  2. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er septembre 1864.