Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femmes qui vivent dans son empire. Pourquoi chercher plus loin les motifs qui nous ont valu cette publication? Ne semble-t-il pas naturel que cette leçon d’une vie saine et pure, cette expérience d’un bonheur si réel et pourtant si terre-à-terre, ne soient pas perdues? N’est-il pas touchant que la première des épouses et des mères en ce pays dise aux autres mères et épouses : Voilà comment de mon devoir je me suis fait une félicité!

Cependant on n’est pas reine impunément, et même reine constitutionnelle des trois royaumes unis. Ce livre a donc pu éveiller la curiosité, soulever les questions qui se pressent en foule autour de ce qui sort des demeures princières. On a supposé peut-être, comme on le fait souvent chez nos voisins, que le conseil de cette publication a été donné en vue de l’intérêt de tel ou tel parti; pour contrecarrer cet intérêt, on s’est plaint sans doute de voir l’intérieur de la souveraine absolument dévoilé aux yeux du public, les familiarités du foyer et jusqu’aux petits noms de tendresse des enfans royaux parvenant à la connaissance de tous et fournissant matière à des plaisanteries contraires au respect. On a pu dire avec plus de raison que ces feuilles avaient été choisies et détachées du journal de la reine afin de rendre plus présente à ses fidèles sujets celle qu’une douleur obstinée attachait invinciblement à sa solitude, et de rafraîchir dans la mémoire de la nation la figure de sa reine d’autrefois, si rayonnante et si heureuse. De ces commentaires de salon, quelque chose a passé çà et là dans la presse. Le champ des suppositions est large en tout pays; mais les sujets de la reine Victoria, bien que jouissant d’une liberté absolue de tout dire, et peut-être pour cela même, forment une nation, jusqu’ici du moins, fort discrète. Libre à tous d’attribuer des raisons d’état à un livre qui ne parle que d’excursions et de villégiature; le plus simple est de s’en rapporter à la préface de l’éditeur, M. Arthur Helps, écrivain estimé, secrétaire du conseil privé, qui nous avertit que ce journal quotidien écrit par la reine et pour elle-même, destiné ensuite à être communiqué à ses parens et à son entourage intime, a été imprimé pour que cette marque d’affectueuse confidence fût étendue à tout son peuple. Nous aussi, nous en désirons faire notre profit, et, puisqu’il est naturel que ces lignes communiquent au lecteur quelque chose de l’impression même du livre qui les a inspirées, nous exprimerons ici quelques pensées au courant de la plume, sans suivre un ordre beaucoup plus rigoureux que celui de l’auteur : nous voyagerons en quelque sorte à travers ce carnet de voyage.

Rien d’abord de plus anglais que ce volume si peu littéraire : c’est un journal, un aide-mémoire, une série de notes de ce qui est ar-