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geons de tout faire. Le rapport de M. Claude Bernard embrasse l’ensemble des travaux qui ont marqué ces vingt ou trente dernières années, et son œuvre propre y tient naturellement une grande place. «Les découvertes et les travaux que j’ai publiés, dit-il, sont souvent à l’état de simples ébauches ou même parfois d’indications insuffisantes. Je crois qu’ils n’en ont pas moins exercé une influence utile sur la marche de la science en suscitant des recherches nouvelles de la part d’un grand nombre d’expérimentateurs; mais je désire qu’on sache que les obscurités, les imperfections et l’incohérence apparente qu’on peut y trouver ne sont que les conséquences du manque de temps, des difficultés d’exécution et des embarras multipliés que j’ai rencontrés dans le cours de mon évolution scientifique. Depuis plusieurs années, je suis préoccupé de l’idée de reprendre tous mes travaux épars, de les exposer dans leur ensemble afin de faire ressortir les idées générales qu’ils renferment. J’espère maintenant qu’il me sera permis d’accomplir cette deuxième période de ma carrière scientifique. » Tout le monde fera des vœux pour que l’œuvre d’ensemble qui est ainsi annoncée soit menée à bonne fin ; mais tout le monde sait aussi que les « travaux épars » dont M. Claude Bernard nous entretient ont suffi dès maintenant pour lui faire un nom important dans les lettres aussi bien que dans les sciences. M. Claude Bernard en effet n’est point seulement un expérimentateur, il est encore, — et ce n’est point aux lecteurs de la Revue qu’il faut l’apprendre, — un penseur et un écrivain. En exposant lui-même avec une grande netteté quelques-unes des conclusions où l’ont mené ses recherches, il a pris place dans la lutte des idées contemporaines; il a mérité ainsi d’être compté comme un des représentans les plus autorisés et nous pourrions dire comme le porte-drapeau de cette phalange de travailleurs à laquelle on a donné le nom d’école expérimentale. Cette école du reste, à part quelques démêlés sans importance, vit en assez bons termes avec les métaphysiciens de nos jours; elle les a séduits par sa réserve et son esprit de conciliation; elle a ouvert pour bien des questions irritantes une sorte de terrain neutre où les opinions contraires peuvent se rencontrer et se pénétrer. Y a-t-il entre l’école expérimentale et les doctrines métaphysiques qui l’entourent de divers côtés un véritable traité de paix ou seulement une trêve, un modus vivendi? C’est ce qu’il serait fort intéressant d’étudier de près. On discernerait sans doute, à côté de sérieux motifs de concorde, des compromis ou des malentendus d’où la guerre peut sortir un de ces jours.

Pour faire une pareille étude, on n’aurait qu’à examiner les idées générales que M. Claude Bernard a introduites dans la discussion