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de l’église. Il y eut bien, nous l’avons vu, quelques velléités de ce genre; mais une autre difficulté, inhérente au drame, se présenta. En vertu même de cet ardent besoin de réalité, de sincérité religieuse dont la réforme était issue, le drame plaisait peu, le drame religieux moins que les autres. L’esprit humain, nous le répétons, aime la représentation extérieure de lui-même ; mais quand il est arrivé à l’âge de la réflexion, il ne se dissimule plus que cette représentation n’est qu’une imitation de la réalité, et non cette réalité elle-même. S’il s’agit d’objets à propos desquels la fausse apparence de la réalité n’a point d’importance morale, l’inconvénient disparaît ou du moins est supporté sans peine. Encore faut-il pourtant que l’illusion scénique soit aussi complète que possible pour que le plaisir se soutienne. Quant au contraire l’objet représenté est de ceux dont l’imitation, sans réalité correspondante, confine au sacrilège, le scandale, le dégoût, tout au moins la répugnance, ne tardent pas à venir. On ne souffre pas plus le comédien-prédicateur que le prédicateur-comédien. La même soif de réalité religieuse qui fit la réforme engendra l’antipathie contre les images, les pompes sacerdotales et le théâtre. Le puritanisme ne fut pas plus doux que l’église catholique aux acteurs de profession. Un exemple illustre, celui de J.-J. Rousseau, explique à merveille ce genre d’antipathie, qui tient moins à un dogme qu’à une disposition d’esprit.

Cet antagonisme absolu ne pouvait toujours durer. La société ne peut pas plus vivre que l’individu dans la contradiction consciente et patente. Tous les hommes raisonnables conviennent aujourd’hui que le théâtre fait partie intégrante et nécessaire de la civilisation, et, s’il y a de nombreuses diversités dans l’idée qu’on se fait de la valeur morale des représentations scéniques, l’extrême étroitesse religieuse les condamne seule en principe. Toutefois il s’en faut encore de beaucoup que la réconciliation entre le drame et la piété, entre le théâtre et l’église, soit passée dans les faits. Le théâtre lui-même est encore en grande partie dominé par l’ancien dualisme. Il est de fait que, prétendant reproduire la vie réelle, il se défend systématiquement de toucher à un côté de la vie qui tient pourtant une grande place dans l’existence sociale et la destinée de l’individu. L’opéra seul fait exception à cause précisément de ce pouvoir idéalisant de la musique dont nous avons parlé. D’ailleurs à l’Opéra la question de vraisemblance ne se pose même pas[1]. La diversité des opinions religieuses contribue aussi beaucoup à cette

  1. N’oublions pas toutefois que là où les influences sacerdotales ont la haute main on ne se gêne pas pour introduire d’étranges variantes dans les pièces qui touchent à la religion.