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les armes à la main. Au fond, il voulait montrer comment une religion se fonde, et il le montrait conformément aux idées fausses que le XVIIIe siècle s’était forgées sur ce chapitre mystérieux entre tous des origines historiques. En Allemagne, dans un esprit non moins philosophique, mais beaucoup plus religieux, Lessing publiait son Nathan, et ce précurseur de la théologie moderne creusait par cette œuvre magistrale dans la conscience du peuple allemand un de ces sillons qui ne se referment plus. Encore une pièce qui vint à son heure, et qui, si elle n’avait aujourd’hui la prescription du temps, n’obtiendrait pas facilement les honneurs de la représentation publique.

La révolution est donc complète. Ce qui alimentait le drame au moyen âge le condamne ou le tue aujourd’hui. Pourquoi cela? Ce n’est pas sans cause profonde que par deux fois, à l’origine de deux civilisations, le culte et le drame ont commencé par vivre d’une seule et même vie. Tous deux se rattachent à une même propension de l’esprit humain, qui aime à s’objectiver, et qui pour cela traduit sous forme extérieure et visible les idées et les sentimens dont il est rempli. Le langage, l’accent, le geste, l’art dans toutes ses branches, n’ont pas d’autre origine. Cette représentation de l’esprit devant l’esprit procure à l’homme l’un de ses plus vifs plaisirs, car elle équivaut à une extension, à un redoublement de la vie, et elle se rattache ainsi à ce qui constitue l’essence même du bonheur. Tant que la vie se renferme dans le cercle des choses religieuses, ou plutôt tant que la religion, conçue comme un ordre de choses purement surnaturelles et extérieures au monde, offre le seul idéal, le seul intérêt spirituel compris et apprécié de tous, le drame leste exclusivement religieux. L’homme d’une telle époque ne se reconnaîtrait pas dans un autre genre. Cependant l’esprit humain sent germer en lui-même des intérêts, des passions élevées, des sentimens qui ne se rattachent plus qu’indirectement à cette conception dualiste de la religion, et qui même lui sont souvent opposés. Une religion purement surnaturelle déclare la guerre au monde au lieu de chercher à le purifier. L’antagonisme de principe entre la vie ordinaire et la vie religieuse se reflétera donc dans l’opposition du drame, qui représente la vie réelle, et du culte, qui sert d’expression à la vie religieuse. C’est la brouille grandissante entre le théâtre et l’église.

On aurait pu croire que la réforme, dont la tendance était de réunir la vie civile et la vie religieuse en les pénétrant l’une par l’autre, aurait rendu à l’élément religieux dans le drame la place qu’il a dans la vie quotidienne et surtout au sein des populations protestantes, où le culte est chose de la famille presque autant que