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magne[1], qui pourraient inspirer l’idée que le drame religieux est destiné à renaître de nos jours. Il est mort, et bien mort, depuis le XVIIe siècle. C’est un revenant dans notre vie moderne; c’est même uniquement la bizarrerie de sa conservation sur une assez grande échelle dans un coin retiré des Alpes bavaroises qui vaut une certaine renommée à la Passion d’Oberammergau. Il suffirait pour la supprimer tout à fait que d’autres communes, alléchées par les profits du métier, se missent à organiser la concurrence. Bientôt la satiété s’en mêlerait. Probablement l’autorité catholique réclamerait l’appui du bras séculier pour décourager ces exagérations du romantisme religieux, et les inévitables scandales qui s’y mêleraient bientôt donneraient à cette intervention des motifs très plausibles.

Ainsi le drame religieux naît au sein même du culte, dont il fait partie intégrante jusqu’au XIIIe siècle. Quand il s’en détache, il reste longtemps son allié, très soumis à l’orthodoxie ecclésiastique. Il n’en doit pas moins à cette séparation la faculté de s’ouvrir à des élémens tout séculiers qui feront le drame laïque, tragédie ou comédie, désormais et exclusivement voué à la mise en scène de la vie humaine. Déjà suspect à la veille de la réforme, le drame religieux recule devant la renaissance, se fait controversiste et dogmatique, meurt lentement malgré le regain d’arrière-saison qu’il produit encore en Espagne, et succombe enfin sous des antipathies que l’indifférence des uns et la foi plus raffinée des autres contribuent également à nourrir. S’il fallait lui trouver de nos jours des successeurs sérieux, il faudrait les chercher tout près de son berceau dans l’ordre des grandes compositions musicales. La messe en musique et l’oratorio continuent de dramatiser pour l’oreille les grandes scènes de la tradition sacrée. La foi chrétienne moderne se complaît sans restriction dans cette représentation purement idéale où le sentiment domine de très haut le fait littéral, et qui n’exige pas d’opinion dogmatique définie pour être goûtée. On peut cependant ajouter qu’en se rappelant les noms des maîtres qui ont illustré ce domaine particulier du grand art, en voyant les préférences des populations pour l’une ou l’autre de ces deux branches de la musique religieuse, on reconnaît en elles le prolongement des deux directions divergentes que prit le drame religieux dans

  1. Une communication bienveillante m’apprend que de nos jours, au fond des gorges frontières de l’Aragon et du val d’Aran, le drame de la Passion se joue encore chaque année dans une procession se dirigeant vers un calvaire. Le Christ porte une très lourde croix et tombe plusieurs fois. Les coups, les injures de tout le village pleuvent sur lui, et il parait que les acteurs, se grisant en quelque sorte de bruit et d’action, arrivent à un réalisme d’un effet étrange. On sait du reste que l’Espagne est le pays par excellence des processions à personnages.