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Christ est détaché tout engourdi du bois où il a dû rester suspendu un temps assez long. Des anges vêtus de blanc viennent renverser la pierre du sépulcre, et le ressuscité reparaît au milieu des vapeurs de l’encens, tandis que les soldats romains s’enfuient au bruit de la détonation des boîtes.

Est-ce complaisance, charme de l’étrangeté, romantisme des spectateurs ou mérite réel des acteurs? Le fait est que des juges dont on ne saurait récuser la compétence affirment qu’en somme l’effet général est d’une puissance réelle, et même ce genre de spectacle a ses enthousiastes, parmi. lesquels il faut citer surtout l’éminent acteur allemand M. Devrient, qui revint enchanté du highland bavarois, où il avait été voir la Passion de 1850. Les gens du pays ont pour industrie la fabrication d’objets en bois taillé et découpé qui ne manquent pas de caractère. Ce métier a pu développer chez eux quelque sentiment de l’art. Les traditions de famille, les répétitions fréquentes à domicile, ont pu vaincre jusqu’à un certain point la gaucherie rustique. Il y a des rôles qui passent de temps immémorial du père au fils. Le Judas de 1860 avait hérité de son père le rôle, probablement peu envié, du plus fameux des traîtres et la barbe rousse qui fait partie de son costume. Le Christ de la même année, très habile découpeur de bois, n’était point trop au-dessous de son rôle écrasant. C’est son chant, paraît-il, qui laissait le plus à désirer. On peut d’ailleurs s’apercevoir, en lisant les nombreuses descriptions qu’on en a faites, que les acteurs cherchent à suppléer les imperfections de leur art dramatique par la fréquence des tableaux vivans, dont le principal mérite consiste dans le groupement et l’attitude des personnages. Les costumes sont conformes à ceux qu’on voit sur les anciens tableaux d’église. Les gestes sont anguleux comme ceux de ces vénérables modèles; parfois on croirait voir des figures détachées des toiles des vieux maîtres. Pourtant quelque chose cloche toujours dans ces résurrections des coutumes antiques. L’orchestre, par exemple, manque absolument de couleur historique. En 1840, il portait le frac noir et le pantalon blanc. Les correspondans envoyés par les journaux jetèrent les hauts cris. Pour faire plaisir à ces messieurs, les braves musiciens endossèrent dix ans plus tard leur uniforme de la landwehr.


IV.

Ce n’est pas une exception comme celle que nous venons de décrire, ni quelques faits parallèles plus obscurs dont quelques autres localités sont encore parfois les témoins en Suisse et en Alle-