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scrire ces jeux de la Passion, où, disait-on, le Christ était encore une fois crucifié. Les classes éclairées à cette époque ne comprenaient pas même qu’il pût y avoir un côté intéressant dans ces drames naïfs, et le seigneur joséphiste était sur ce point parfaitement d’accord avec l’évêque le plus orthodoxe. Les paysans murmurèrent, mais tout le monde leur donna tort, et ils finirent par se résigner. Or il y avait un village qui souffrait beaucoup de cette interdiction, c’était le village bavarois d’Oberammergau. Au XVIIe siècle, ses habitans avaient fait vœu de représenter la Passion tous les dix ans pour conjurer une épidémie qui faisait parmi eux de grands ravages. C’était une dette d’honneur à payer, et à plusieurs reprises des députations se rendirent jusqu’à Munich pour obtenir la levée de l’interdiction. Enfin le bon Maximilien, sur les instances de son fils Louis, déjà très entiché de romantisme, prêta l’oreille à leurs requêtes. La Passion d’Oberammergau, célébrée d’abord à petit bruit en 1811, est devenue à chaque période décennale un événement toujours grossissant, et l’on y vient désormais du fond de l’Allemagne. Inutile d’ajouter que la bourse des villageois s’en trouve au moins aussi bien que leurs âmes. À cette occasion, le village se transforme en caravansérail. Tous les habitans sont acteurs, depuis le plus vieux jusqu’au plus jeune. Des maisons à balcon forment les côtés et les loges d’avant-scène du théâtre, que recouvre un toit de planches. La montagne sert de toile de fond. Le parterre est indéfini et à découvert. Tant pis pour les spectateurs, s’il pleut. Le vieux texte a dû subir des modifications notables pour ne pas effaroucher la pudeur de la police bavaroise. Par exemple, toute une armée de diables, dont quelques-uns très drôles, venaient jadis, conduits par le Péché et la Mort, défier le Christ à grand renfort de grimaces. Cette scène a été supprimée. En revanche, on possède maintenant un orchestre, recruté, comme le reste de la troupe, dans le village même.

Tout est donc fort sérieux, sauf les accidens imprévus. Des scènes bibliques préludent au grand événement de la Passion, qui commence par l’expulsion des marchands du temple, bientôt suivie de la trahison de Judas. La flagellation a lieu derrière la scène, mais l’Ecce homo se montre dans son altitude traditionnelle. C’est aussi derrière la toile qu’on entend clouer sur la croix le divin supplicié; mais, quand elle se lève, les deux larrons sont déjà crucifiés, tandis qu’au même moment on dresse au milieu d’eux la croix qui porte le Christ. Le coup de lance est donné dans une petite outre pleine de sang. Des pétards indiquent le moment où les ténèbres sont censées couvrir la terre. La scène de la descente de croix est, dit-on, la mieux reproduite, peut-être parce que celui qui tient la place du