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par lui-même comment le ménage est tenu, si l’on élève bien les enfans, et si on leur donne une bonne instruction religieuse. Eve aussitôt oublie ses tristesses et ne songe plus qu’à laver ses fils, à préparer leurs habits du dimanche, à orner la maison de verdure. C’est la bonne ménagère allemande qui se met en quatre du moment qu’il s’agit de faire à un hôte les honneurs du logis. Pourtant elle a beaucoup de peine à nettoyer Caïn, qui lui donne bien du tourment, ne veut jamais rester à la maison, et se bat continuellement avec d’autres garnemens de son espèce. C’est en vain que son frère Abel l’engage à se corriger en le menaçant de l’enfer. — « Bah! reprend le mauvais sujet, je prends la vie que Dieu me donne ici, et je lui laisse sa vie éternelle. Qui sait ce qui nous attend là-bas?... Si le Seigneur ne veut pas de moi dans le ciel, le diable me voudra bien chez lui. » C’est au troisième acte et après plus d’une scène d’intérieur du même genre que Dieu fait son apparition, suivi de deux anges. Adam et Eve ont rangé leurs quatorze enfans sur deux files, présidées l’une par Abel, l’autre par Caïn. « La paix soit avec vous, mes enfans! » dit en entrant le Seigneur, et après les salutations les plus humbles du père et de la mère, suivies de bénédictions paternelles et de promesses consolantes de la part du visiteur divin, celui-ci se met à interroger les enfans sur les premiers chapitres du catéchisme de Luther. Abel et les six qui le suivent répondent de la façon la plus satisfaisante sur l’oraison dominicale et les dix commandemens. L’ange Raphaël est enchanté, et Dieu promet à ces enfans sages que leur descendance donnera au monde des rois, des princes, des savans, des prédicateurs et des prélats; mais il en est tout autrement de la seconde bande, en tête de laquelle est Caïn. Celui-ci, qui s’est très mal conduit pendant l’examen de ses frères et qui entretient des relations suspectes avec Satan, se glorifie de n’être point hypocrite, et quand Dieu lui demande de réciter l’oraison dominicale : « Ah ! Seigneur, répond-il, nous l’avons oubliée! » Comme pourtant il faut répondre quelque chose, il défigure la belle prière de manière à lui faire dire des non-sens. Il n’a retenu que la demande du pain quotidien, encore a-t-il soin de demander « beaucoup de pain tous les jours. » Les autres répondent aussi fort mal, et le rigide luthérien Hans Sachs se plaît à mettre dans la bouche des petits mécréans des professions de foi non-seulement matérialistes, mais encore calvinistes et romaines, ce qui fait qu’en soupirant le Maître des choses condamne leur descendance à l’état de paysan, d’artisan, de portefaix, en un mot à tous les métiers pénibles. On voit que notre poète, tout cordonnier qu’il fût, n’avait pas des opinions très démocratiques. Le cinquième acte nous montre Caïn en conversation avec Satan