Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

victorieusement que jamais pape ne faillit et qu’on ne peut être sauvé que dans l’église romaine, car

Quiconque n’entra pas dans l’arche de Noé,
Par ordre du Seigneur fut bel et bien noyé.

Le drame religieux ne profitait guère sous le rapport de l’art et du charme poétique des lourdes formes auxquelles le condamnait la controverse. Il y eut encore pourtant quelques essais de retour à l’ancienne simplicité, par exemple un Jeu de Noël d’une grande pureté, qui fut composé pour les enfans de l’électeur de Brandebourg en 1589. Dans un sentiment tout différent, on peut citer une moralité composée par Schorus, professeur à Heidelberg, jouée par ses écoliers et dont le succès fut fatal à l’auteur. On voyait paraître la Religion demandant asile aux grands de la terre. Partout on lui fermait la porte, et enfin, pour trouver un abri, elle s’adressait aux petites gens, qui la recevaient à bras ouverts. C’était trop de démocratie pour le temps. L’empereur en fut instruit, écrivit à ce sujet à l’électeur palatin, et Schorus dut se réfugier en Suisse.

Le drame religieux ne battait donc plus que d’une aile lorsque arriva cette abominable guerre de trente ans, qui arrêta court l’essor du génie germanique, et laissa le peuple allemand si épuisé de corps et d’esprit qu’il eut besoin de près d’un siècle pour se refaire. Quand elle prit fin d’ailleurs, les causes générales qui ruinaient depuis longtemps la popularité du drame religieux avaient à peu près achevé leur œuvre. Il n’était plus désormais qu’un exercice d’école servant à familiariser les jeunes étudians avec l’usage des langues mortes; il avait perdu l’exquise naïveté de forme et de fond qui en faisait le charme. C’est un drame scolastique de ce genre que le fameux Grotius composa sous le titre de Christus patiens. Il ne fut jamais joué, et après avoir été fort admiré pour l’érudition dont il faisait preuve, il est depuis longtemps complètement oublié. Les jésuites introduisirent aussi dans leurs collèges la coutume de jouer des pièces religieuses et en composèrent beaucoup. La mythologie fournit son contingent aussi bien que l’histoire sainte. On vit Persée délivrer Andromède, la nymphe Io fuir devant Jupiter sur les mêmes estrades où le jeune David affrontait le géant Goliath, et où le roi Salomon rendait son arrêt entre les deux mères.

Avant toutefois que nous quittions l’époque de la réforme et les pays protestans, il nous faut parler du cordonnier-poète Hans Sachs, qui, tout zélé luthérien qu’il fût, était trop enfant du peuple pour ne pas avoir conservé sa large part de la naïveté du moyen âge. Il écrivit un grand nombre de pièces religieuses remarqua-