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ther. Le fagot ne tarde pas à jeter de vives flammes. D’autres moines consternés s’agitent pour les étouffer, mais dans leur confusion ils jettent de l’esprit-de-vin sur le feu et s’enfuient terrifiés. Le saint-père vient enfin conjurer le feu et lance sur lui l’anathème. Le feu ne fait pas la moindre attention à la foudre pontificale, et le pape en est tellement furieux qu’il rend l’esprit.

L’intéressant serait de savoir si ce drame allégorique a été réellement joué à la cour de François Ier et sous ses yeux, ou bien si le tout est de pure invention. L’original français ou latin n’existe pas, que je sache. Une pièce analogue aurait été représentée en 1530 devant l’empereur Charles-Quint lui-même, s’il faut en croire deux auteurs allemands du XVIIe siècle, et c’est ce qu’il est bien difficile d’admettre. Cependant il est certain que le drame manuscrit de Munich est d’une grande exactitude quant aux dates. Reuchlin, grand ennemi des moines, meurt en 1522. Érasme vient de se retirer à Bâle auprès de son ami Froben, et refuse de suivre jusqu’au schisme la réforme qu’il a tant contribué à préparer; Ulrich de Hutten est mort en 1523, victime de sa propre violence; Luther est sorti de la Wartbourg l’année d’auparavant, et met à exécution son plan réformateur. En 1524, la pièce était donc tout à fait en situation; d’autant plus que, si par la suite François Ier fut d’une implacable dureté pour les protestans de son royaume, chacun sait qu’il hésita quelque temps, qu’il n’aimait pas les couvons, qu’il estimait beaucoup Mélanchthon. A la veille de cette campagne malheureuse où il devait tout perdre fors l’honneur, il avait assez de griefs personnels contre le pape Adrien VI, ancien précepteur et allié de Charles-Quint, pour trouver du plaisir dans l’humiliation allégorique du saint-siège. Il est bien curieux toutefois que la nouvelle de cet étrange épisode de notre histoire nous arrive par l’Allemagne. Probablement le roi, redevenu plus tard fils soumis de la papauté, aura donné des ordres pour faire autant que possible disparaître les traces de ses velléités de rébellion.

Du côté des catholiques, on ne fit pas faute d’employer les mêmes moyens de polémique. Un certain Lennius, ennemi acharné de Luther, composa la Monachopornomachie, où l’on attribuait la réforme au désir de se marier qui dévorait quelques moines et prêtres impudiques, et où dame Vénus, accompagnée de son fils et de jeunes beautés, venait galamment régler toute la marche de l’affaire avec le frère Martin. Une pièce du même genre fut jouée devant Henri VIII d’Angleterre, encore bon catholique et défenseur de la foi. A Uerdingen, non loin de Crefeld, où la lutte confessionnelle était des plus vives, le peuple catholique put s’édifier en assistant au débat public d’Hœreticus avec Catholica, qui lui remontrait