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ce furent de l’autre la renaissance et les goûts nouveaux qu’elle propagea. La renaissance, en dévoilant aux regards surpris du XVe siècle tout un monde oublié de beautés littéraires et plastiques d’une pureté, d’une perfection ravissantes, tua du même coup la naïveté et la grossièreté. Le pauvre mystère se cacha tout honteux devant la résurrection du drame grec et de la comédie romaine. Le sentiment religieux, en s’épurant, se scandalisa de ces représentations où l’on respectait si peu les objets les plus vénérés de la foi. Les frères de la Passion inaugurèrent en 1548 la première salle de. théâtre des temps modernes, et purent encore sculpter au-dessus de la porte les armes de leur confrérie, un bouclier avec la croix et les instrumens du supplice ; mais ils étaient à peine entrés en possession qu’un arrêt du parlement interdit la représentation des mystères pour des motifs d’ordre religieux, et n’autorisa que celle des pièces profanes, pourvu qu’elles fussent honnêtes. Un tel arrêt hâta naturellement l’avènement du drame séculier, de la comédie purement humaine, qui déjà s’était annoncée par une œuvre hors ligne, la Farce de l’avocat Pathelin. En 1549, le pape Paul III défendit les représentations qui se donnaient au Colisée. Les allures hostiles à la hiérarchie qu’avait adoptées le drame religieux, coïncidant avec l’éveil de l’esprit d’examen par toute l’Europe, rendirent le clergé défiant. Partout où le protestantisme triompha, la grosse joie païenne du moyen âge disparut. Une grande partie du personnel des mystères, les saints, la vierge Marie, les héros légendaires, étaient passés de mode ou à peu près. La rédemption était prise trop au sérieux pour servir de motif à un divertissement populaire. La représenter par personnaiges, cela faisait désormais l’effet d’une profanation.

Nous resserrons en quelques lignes ce qui mit plus d’un siècle à s’accomplir. On ignore assez généralement que dans les premiers temps le mouvement réformateur eut le drame religieux pour allié. Luther aimait l’art dramatique. Son avis était qu’il ne fallait pas fuir la comédie parce qu’il s’y trouvait de temps à autre des grossièretés et des paillardises, car, ajoutait-il, et pour la même raison, il ne faudrait pas non plus lire la Bible. Calvin, en 1546, fit représenter une moralité devant le peuple de Genève. À Berne, la représentation du Mangeur de morts, composé en 1522 par Niclaüs Manuel et dirigé contre les profits que le clergé tirait de la doctrine du purgatoire, ne fut pas sans influence sur la décision des habitans, qui passèrent en masse au protestantisme. La naïveté était grande encore, sinon dans l’intention, qui était au contraire très âpre, au moins dans l’exécution. On y voyait saint Pierre et saint Paul arrivant à Rome au moment d’une procession pompeuse où le