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voyons un exemple curieux dans la fête des Fous ou des Sots, ou des Innocens, ou des Enfans (car elle porta tous ces noms), qui résista un temps inoui aux interdictions prononcées par les papes et les conciles. A l’origine, elle faisait partie des fêtes de Noël, et se rattachait soit au désir de glorifier l’enfance du Christ, soit à la célébration du martyre d’Etienne le diacre (26 décembre), soit enfin au souvenir des enfans massacrés à Bethléem (28 décembre). Comme on confondait le diaconat primitif avec le grade sacerdotal inférieur du même nom, saint Etienne passait pour le patron du petit clergé, et il semblait naturel que sa fête fût celle des novices des couvens, des élèves des chapitres, des jeunes clercs. On leur permettait donc d’élire à ce moment de l’année un abbé des enfans et un évêque des enfans qui, crosses et mitres, revêtus des habits sacerdotaux, étaient menés processionnellement à l’église et accomplissaient le long des rues et dans le sanctuaire les diverses fonctions liturgiques. C’est la même histoire que pour le drame. Ce qui d’abord était naïf, mais sérieux, dégénère bientôt en mascarade. Par une insensible transition que le langage du moyen âge facilite, la fête des enfans devient celle des innocens, et bientôt fête des sots ou des fous. De vieilles coutumes se perpétuèrent sous cette forme, comme elles s’étaient perpétuées sous le couvert de la fête des ânes, qui s’associa souvent à celle des fous. Le jour vint où toute la hiérarchie sacerdotale se vit insultée et bafouée devant la population, qui commençait à applaudir. Les papes s’aperçurent les premiers de ce scandale, et tâchèrent, ainsi que les conciles, de remédier au mal. Ce fut en vain, et presque partout les évêques se virent forcés, aux XIIIe et XIVe siècles, de faire la part du feu. Le concile de Bâle, en 1435, dut procéder vigoureusement contre ces saturnales. Cependant elles durèrent jusqu’à la réforme, et même il en resta des traces jusqu’au XVIIIe siècle, à Mayence, par exemple, où la réforme ne put agir ni directement ni indirectement. On retrouve ici tout ce que nous avons indiqué sur les origines et l’émancipation graduelle du drame. Comme celui-ci, la fête des fous est fille du culte et procède d’une intention pieuse; comme lui aussi, elle offre trop de prises à la mondanité pour que l’église ne cherche pas à éloigner et même à détruire ce qu’elle avait d’abord favorisé.


III.

Deux grandes puissances firent disparaître le mystère du moyen âge ou du moins en modifièrent essentiellement la nature. Ce furent d’une part l’esprit de critique religieuse et sa fille, la réforme;