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chaîne, lui offrant l’alternative ou bien de mourir dans les honneurs qu’elle a tant désirés, mais alors d’être damnée pour l’éternité, ou bien de rentrer en grâce auprès de Dieu en se soumettant à l’humiliation la plus déshonorante. Jutta se décide pour l’humiliation, et quand la Mort en personne vient s’emparer d’elle, la pécheresse repentante adresse au Christ une prière vraiment touchante où elle énumère les grands coupables dont l’histoire sainte raconte les fautes et le pardon, Adam, Pierre, Thomas, Paul, Madeleine. Elle se recommande aussi à Marie, qui lui déclare qu’elle fera ce qu’elle pourra auprès de son cher fils, mais que, vu la gravité du cas, elle ne peut répondre de rien. La Mort s’impatiente, il faut partir pour la procession où mourra le faux pape, qui succombe sur la scène au milieu des douleurs de l’enfantement. L’âme coupable, arrivant aux enfers, est saluée par les cris moqueurs des démons, qui veulent qu’un si savant homme soit nommé maître-chantre du ténébreux séjour. On veut la forcer à renier Dieu, elle refuse; on la torture, elle invoque avec persistance le Christ, Marie et saint Nicolas. Le saint et la Vierge-mère intercèdent auprès du Christ, qui d’abord se tait, mais enfin envoie son archange saint Michel pour délivrer la pauvre âme tourmentée. Jutta remonte au ciel, protégée par son invincible libérateur contre les griffes des démons qui voulaient la ressaisir. Plus d’un diable doit se retirer en geignant, frappé par le bras de fer de l’archange. Ne pense-t-on pas involontairement à la rédemption finale de Faust? N’oublions pas d’ajouter que l’apothéose de la papesse repentie était célébrée au ciel et sur la terre par un alléluia général[1].

On peut s’assurer par l’analyse qui précède que les intentions du prêtre auteur du mystère de Dame Jutta étaient parfaitement orthodoxes. Le sacrilège commis par la papesse est pour lui un de ces événemens terribles où se montre le doigt de Dieu, mais qui ne font pas plus de tort à l’institution qui en souffre accidentellement que [les crimes individuels d’un souverain ne prouvent contre le régime monarchique. La manière dont il conçoit son œuvre dénote au contraire la fermeté de sa foi dans la divine autorité du siège romain. Il ne lui vient pas même à l’idée qu’on pourrait se servir de la légende pour la combattre. Cela nous semble étrange, mais nous sommes au moyen âge et en Allemagne; n’avons-nous pas

  1. La légende faisait aussi remonter au scandale donné par la papesse Jeanne l’institution de la sella stercoraria sur laquelle tout pape nouvellement élu devait s’asseoir. <poem>Das man da erkenne Ob er sey ein Han oder eine Henne. Notre mystère n’a pas manqué de s’emparer de cette donnée bouffonne.