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quitte pas de l’œil, et n’a voulu s’ajourner que jusqu’au mois prochain : lutte singulière, si l’on veut, qui n’empêche pas les États-Unis de marcher d’un pas ferme. Bienheureux les pays où il y a de libres élections, de libres manifestations, de libres conflits de pouvoir, sans qu’on s’en porte plus mal, et où trois ans après la plus sanglante des guerres vainqueurs et vaincus se retrouvent sur le même terrain, afin de savoir qui sera le chef élu d’un grand peuple assez fort pour se gouverner lui-même. ch. de mazade.





ESSAIS ET NOTICES.

Les Forêts de la Gaule et de l’ancienne France, par M. Alfred Maury ; Paris, Ladrange.

Les forêts jouent un rôle d’importance capitale dans l’histoire des peuples. Sont-elles debout et vivantes, elles font des mœurs particulières, donnent lieu à une législation spéciale, créent tout un monde d’idées, d’habitudes et d’intérêts ; sont-elles au contraire renversées ou détruites, on voit se manifester les progrès d’une civilisation basée sur la culture du sol défriché. Tel est en quelques lignes le résumé d’un savant ouvrage que M. Alfred Maury vient de consacrer aux forêts. Cet ouvrage, l’auteur nous l’apprend dans sa préface, est moins un livre qu’un long mémoire riche de ce luxe d’érudition auquel M. Maury a dès longtemps accoutumé ses lecteurs. Les faits y abondent, et l’on peut puiser dans ces pages les plus curieux renseignemens. Défrichement et civilisation, nous dit M. Maury, sont deux termes corrélatifs. Qu’on suive sur les anciennes cartes forestières de la France et de l’Europe centrale la vaste trouée qu’y a faite la pioche, et l’on suivra en même temps la grande route de la civilisation. Cette roule va dans la direction du sud. Les Anglais, les Français, les Espagnols, les Italiens et les Grecs habitent les contrées européennes les plus déboisées. En allemand, le mot wild, sauvage, appartient au même radical que wald, forêt, et le mot français sauvage, en italien selvaggio, est dérivé des mots selva, sylva, qui en italien comme en latin signifient forêt. Il n’est pas jusqu’aux Hindous qui ne désignent le sauvage sous le nom de djangli, appellation qui veut dire habitant ces forêts ou des jungles. Comment en serait-il autrement ? La forêt imprime à ses habitans un cachet à peu près ineffaçable. Outre qu’elle a été de tout temps et en tout pays le refuge naturel des proscrits et des brigands, et qu’elle ramène l’homme civilisé lui-même à la barbarie, elle forme comme un monde à part où les populations subissent dans leur caractère et jusque dans leurs traits des modifications profondes.

Une des particularités les plus curieuses de l’histoire des forêts, c’est