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après l’autre. Alors Every Man s’adresse à Bonne Action, qui lui reproche doucement de l’avoir si longtemps négligée, et le mène à sa sœur Sagesse. Celle-ci l’adresse à un saint homme, l’Aveu, qui lui impose une pénitence que le héros du drame accomplit sur la scène, après quoi il va recevoir les sacremens. À son retour, l’Agonie s’empare de lui. La Force, la Beauté, l’Habileté, les cinq Sens, tout cela personnifié, le quittent successivement ; il ne reste que Bonne Action, qui l’assiste jusqu’à la fin. Là-dessus un ange descend et chante le Requiem. On voit que, si la moralité anglaise est excellente, ce n’est point par la gaîté qu’elle brille.

Nous pouvons la rapprocher du mystère français, à peu près contemporain, du Chevalier qui donna sa femme au diable. Un chevalier a dissipé toute sa fortune. Le diable promet de la lui rendre, si dans sept ans il s’engage à lui livrer sa femme. Le gentilhomme recule d’abord ; mais, la nécessité pressant, il signe le contrat. Le diable veut ensuite qu’il renie Dieu. Nouvel effroi, nouvelle résistance et seconde chute. Enfin Satan veut qu’il renie aussi la sainte Vierge. Cette fois le chevalier tient bon et ne cède pas. Les sept ans sont écoulés. Le créancier infernal vient réclamer ce qui lui est dû. Le chevalier, le cœur brisé de chagrin et de remords, conduit sa femme à Satan ; mais en chemin il passe avec elle devant une église dédiée à Marie. La dame demande qu’il lui soit permis de prier encore une fois devant l’autel de la Vierge. Pendant qu’elle est en prière, Marie elle-même descend de son piédestal, prend les traits et les vêtemens de la pauvre sacrifiée, et se remet aux mains du mari. Satan reconnaît sur-le-champ la mère de Dieu, et, sachant bien qu’il ne pourra la garder, reproche en termes violens au chevalier de manquer à sa parole. Celui-ci, qui croit lui amener sa femme, proteste de sa bonne foi. Enfin Marie se fait reconnaître, force le diable à rendre le fatal contrat, et congédie les deux époux après une exhortation amicale. La fable est intéressante, l’action bien agencée, le dénoûment fort gracieux, la morale un peu lâche. C’est ce besoin de mouvement dans le drame qui rendit très populaire en France le mystère des Actes des Apôtres, des frères Gréban, l’un chanoine du Mans, l’autre moine. Cette vaste composition du XVe siècle racontait toute l’histoire contenue dans le livre attribué à saint Luc en y intercalant beaucoup de farces et de légendes. La représentation durait une semaine entière. Le mystère de Robert le Diable et celui de Griselidis, marquise de Saluées, qui se résigne à toutes les humiliations par fidélité conjugale, signalent dans notre pays l’introduction sur la scène de sujets qui n’ont pour ainsi dire plus rien à démêler avec la tradition ecclésiastique.