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devenait chaque jour plus difficile. La discussion d’une loi de désamortissement a précipité la crise, et M. d’Avila s’est-retiré. Le premier mouvement du roi a été de charger le duc de Loulé de former un ministère ; mais le duc de Loulé, soit qu’il ait jugé les circonstances peu favorables pour son parti, soit qu’il ait cédé à une indolence naturelle ; s’est bientôt désisté. Alors le roi s’est adressé à un autre personnage du parti libéral, le vieux marquis Sa da Bandeira. En réalité cependant, le personnage essentiel du nouveau cabinet est l’évêque de Viseu, homme fort connu en Portugal, qui a été soldat autrefois dans la guerre contre dom Miguel, et qui a joué un rôle dans les révolutions portugaises comme membre du parti septembriste. Avec l’évêque de Viseu sont entrés an ministère un des principaux orateurs du parlement, M. Carlos Bento, et un écrivain de mérite, M. Latino Coelho. Il reste à savoir ce que durera ce ministère sur un sol mobile où il est aussi dangereux de tenter des réformes sérieuses que de ne rien faire.

Les États-Unis ont passé, il y a peu d’années encore, par une telle crise, ils ont eu à déployer une telle énergie dans le plus violent et le plus dangereux des déchiremens, que tout le reste pâlit devant le simple souvenir de ce grand drame de la sécession. Et cependant tout ce qui s’agite encore aujourd’hui n’est que la suite de cette redoutable crise où la plus vivace des républiques a failli sombrer. C’est un héritage de guerre civile à débrouiller ; c’est toute une œuvre de réparation et de pacification à réaliser et à consolider entre vainqueurs et vaincus, au milieu de passions mal éteintes et d’intérêts qui résistent ; mais les Américains sont des hommes singuliers, façonnés à la liberté, accoutumés à ne pas s’effrayer de peu, et qui se trouvent fort à l’aise en n’ayant sur les bras que toutes les difficultés de la reconstruction de l’Union et les agitations de la prochaine élection présidentielle, sans parler de cette lutte qui finit par devenir une guerre de coups d’épingle entre le président actuel et le congrès. Cette reconstruction de l’Union, nécessaire surtout à la veille de l’élection, d’un nouveau président, elle s’accomplit chaque jour par la réintégration successive des états du sud dans leurs anciens droits. Tant qu’elle n’est point un fait définitif et irrévocable, la guerre civile n’a point cessé en quelque sorte ; la guerre se survit à elle-même, ne fût-ce que par le régime militaire auquel sont restés soumis les états sécessionistes. Pour ceux de ces états qui veulent rentrer dans l’Union, la condition essentielle est de ratifier le quatorzième amendement à la constitution qui confère les droits civils aux nègres. La plupart se sont résignés sans entrain, avec une bonne volonté qui ne tient pas de l’enthousiasme. C’était visiblement le préliminaire indispensable de toute élection sérieuse. L’exclusion générale et forcée des vaincus ne pouvait que diminuer d’avance l’autorité morale de l’élection en l’entachant d’une sorte de caractère exceptionnel, en lui donnant l’air d’une victoire sans combat. D’un autre côté, il est vrai, l’intervention