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entrer dans la pratique d’un régime plus libre avec les préjugés, les traditions, les réminiscences et les regrets du régime discrétionnaire. Qu’en résulterait-il ? Probablement une impatience croissante de l’opinion, des redoublemens de surveillance jalouse, des défiances, des vivacités nouvelles, en d’autres termes une sorte de guerre qui ne ferait que s’envenimer. Une loi sur la presse a été faite ; elle est certes assez sévère par elle-même, elle contient des précautions assez minutieuses et assez multipliées. Le plus simple à coup sûr serait de laisser se développer les conséquences de ce régime nouveau, d’assister sans froncer à chaque instant le sourcil à cette expérience un peu tumultueuse, de voir avec une grande et virile tolérance même des excès contre lesquels on n’est pas assurément désarmé, s’ils dépassaient certaines limites, et de ne pas croire en un mot que tout est perdu parce qu’on est un peu secoué dans sa quiétude, parce qu’on sent des piqûres auxquelles on n’était plus accoutumé.

Que ce mouvement nouveau ne se produise pas sans confusion et sans tapage, qu’à la vraie et sérieuse discussion se mêlent de grossières et assourdissantes querelles, que toutes les prétentions s’étalent naïvement et que l’esprit d’agression ne ménage rien, il n’y a pas trop de quoi s’étonner ; cela peut-être retomberait bien vite, si on s’en occupait moins. Et ce que nous disons ici, ce sont les faits de tous les jours qui le disent ; ce sont les faits qui montrent avec la plus significative éloquence à quoi sert le système contraire, ce que peuvent les impatiences d’autorité, les gaucheries de répression, les petits acharnemens. On donne sans le vouloir de l’importance à certaines manifestations, on fait le succès de ce qu’on voudrait réduire au silence, on offre le singulier spectacle d’une sorte de duel corps à corps engagé entre un gouvernement et une plume alerte, qui ne se pique ni de modération ni de justice ; on double enfin l’effet de la raillerie en s’y montrant trop sensible. Et quand on arriverait à tuer quelques-uns de ces aventureux soldats de l’esprit, à étouffer sous les amendes quelques-uns de ces journaux nouveau-venus, en serait-on plus avancé ? aurait-on changé l’opinion ? L’opinion résiste et s’aguerrit à ce jeu d’opposition ; rien ne sert de la violenter. Le gouvernement, qui passe pour un bon écuyer, agit pourtant ici comme un mauvais cavalier, qui est toujours sur la bride de son cheval, qui le fatigue, l’irrite, et finit même quelquefois par le rendre vicieux.

Il y a longtemps qu’on l’a dit, les régimes de discussion ne sont pas une tente dressée pour le repos. La liberté a sans doute ses orages et ses ennuis. Le mieux est après tout de ne pas la craindre, d’en accepter résolument les viriles conditions et de s’arranger pour vivre avec elle, d’autant plus qu’il serait désormais difficile de vivre sans elle. Pour le gouvernement, ce n’est plus seulement une question d’opportunité, c’est une question de nécessité. Toutes les tergiversations ne serviraient sans