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Jamais on n’avait plus clairement expliqué pourquoi il est interdit au pouvoir de troubler la commune dans le soin de ses propres affaires.

On peut suivre dans l’esprit de Thouret la filiation des mêmes idées à propos de la discussion sur la vente des biens du clergé, qu’on s’efforçait d’assimiler à ceux des communes. La commission de l’assemblée estimait ces biens à 4 milliards, et l’état avait grand besoin d’argent. Il s’agissait de savoir s’il avait le droit d’en disposer. Les biens des communes étaient peut-être aussi considérables, aurait-il pu s’en emparer ? L’assemblée, violemment agitée par le clergé, se perdait en discussions interminables. Thouret demanda à fixer les principes. Les établissemens de mainmorte n’ont pas d’existence propre, disait-il en substance ; ils vivent, mais en vertu d’une loi qui les fait naître et dont ils tirent avec la vie tous leurs droits. Ils sont donc l’œuvre de la loi et rien de plus : la loi, qui les a institués, peut les détruire quand ils ne répondent plus au bien public. De là le droit pour l’assemblée de supprimer les établissemens de ce genre et de rendre à la masse, c’est-à-dire à l’état, le produit de leurs biens. Il est vrai que le clergé se place au-dessus de la loi et déclare ne point en relever ; il est vrai qu’à l’entendre il a son existence propre et ne l’a reçue d’aucun pouvoir. Tout au moins le clergé ne tient-il que de la loi le droit de posséder au sein de l’état des immeubles et d’y jouir d’une sorte d’existence civile. « Le clergé doit à cet égard subir la loi commune à tous les corps. Sans anéantir les ecclésiastiques, la loi pourrait détruire le corps du clergé en ce sens qu’elle pourrait cesser de reconnaître les ecclésiastiques comme formant un corps. Le clergé a déjà cessé d’être un corps politique, il dépend encore de la loi qu’il cesse d’être un corps civil. » Thouret résumait toute sa théorie par ces mots restés célèbres : « la même raison qui fait que la suppression d’un corps n’est pas un homicide fait que la révocation de la faculté accordée aux corps de posséder des fonds de terre ne sera pas une spoliation. « Cette théorie, énergiquement combattue par le clergé et par la noblesse, fut acceptée par l’assemblée ; mais celui qui l’avait émise la paya de bien des ressentimens. Ferrières ne lui pardonna jamais d’avoir « ébahi par sa fine dialectique » les ignorans de l’assemblée et de les avoir entraînés. Il imagine que Thouret n’avait cherché qu’à se rapprocher du parti populaire, et lui payait en quelque sorte sa bienvenue par une dissertation de son goût. Aujourd’hui les passions se sont apaisées, et la théorie reste ; elle est au fond de notre droit public, et c’est là, pour le dire en passant, que l’Italie est venue récemment la prendre quand il s’est agi pour elle de statuer sur les possessions ecclésiastiques. À qui seraient transmis ces biens ? Aux départemens ? Non, ils