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c’est ce que l’on peut appeler la politique religieuse de Zénobie. Une certaine obscurité règne sur le fond de ses propres croyances. Les historiens veulent souvent qu’elle ait été juive de religion ; mais cette allégation ne repose que sur une ligne d’Athanase : or celui-ci a été induit en erreur par les dires des ennemis de Paul de Samosate, qui reprochaient à cet évêque de retomber dans le judaïsme en enseignant que Jésus avait été essentiellement homme. De là à dire que son admiratrice Zénobie était juive elle-même, il n’y avait qu’un pas. Les historiens talmudistes démentent formellement cette tradition. Il paraît même que, tout en accordant aux Juifs une grande tolérance, la reine s’attira l’animadversion du parti rabbinique en encourageant les mariages mixtes entre Juifs et Syriens, ce qui, au point de vue du vrai judaïsme, était une abomination. Cette tolérance, cet encouragement, les avances faites à Longin pour l’attirer à sa cour, la sympathie montrée à Paul de Samosate, nous indiquent bien clairement la véritable direction de sa politique en matière de religion. Comme Julia Domna et Julia Mammœa, elle eût aimé à faire vivre en paix les diverses croyances qui se partageaient son empire, tout en montrant une certaine prédilection pour les païens qui, comme Longin, savaient goûter les sublimités de la Bible, et pour les chrétiens qui, comme Paul, maintenaient le dogme dans un esprit rationnel. Cette tendance qui dans le christianisme aime surtout la morale et dans le Christ la perfection humaine pouvait plus que toute autre concilier à l’Évangile les sympathies du païen éclairé et même du Juif quelque peu supérieur aux préjugés rabbiniques. Ainsi s’expliquent tout naturellement les rapports d’amitié qui s’établirent entre l’évêque d’Antioche et Zénobie. Ce fut aussi, comme on va le voir, ce qui compromit le plus Paul de Samosate au moment décisif.

Les ennemis de Paul étaient découragés. Il leur avait résisté dans les conférences tenues à Antioche en les mettant au défi de le condamner sans tomber soit dans le dithéisme, soit dans le sabellianisme, c’est-à-dire sans admettre l’existence de deux dieux, l’un suprême, l’autre inférieur, ou sans nier l’existence personnelle du Verbe, ce qui était une autre manière de lui donner raison. La population d’Antioche persistait à donner à Paul les marques d’un attachement inviolable. La protection de Zénobie achevait d’affermir sa position. L’empire romain, sous Valérien, Gallien, Claude II le Gothique, était la proie de l’anarchie et des invasions germaines, et ne brillait guère à côté de l’empire tranquille et prospère de Zénobie. La fortune de Rome voulut qu’un grand capitaine, Aurélien, prît en main le pouvoir. Fort de la confiance des légions, il rétablit l’ordre en Occident, battit coup sur coup les barbares, et se hâta de marcher sur l’Orient pour détruire l’état récemment fondé